Tant de regards se posent sur elle. Des regards compatissants, aussi, mais ceux-là, elle ne les remarque guère. Elle ne voit qu'une masse difforme, prête à bondir sur la moindre occasion, à épier ses faits et gestes, pour s'emparer de sa différence et s'en moquer, comme un coup fort et sec dans sa poitrine, à de multiples reprises. Carla, femme lambda dans un univers lambda, à tendance résolument machiste, ne possède qu'un réel handicap : celui de ne pas vouloir exister, car elle est persuadée au fond d'elle que ce que les autres semblent penser d'elle, elle doit le penser à son tour. Et si l'affiche de Sur mes lèvres ne contient que le visage rugueux de Vincent Cassel sur un fond noir, c'est pour mieux appuyer cette vie cloîtrée dans l'incertitude et le rejet, cette vie à cacher le moindre souffle pour s'épargner une désillusion supplémentaire. Cette affiche représente son sauveur, surgissant de l'obscurité, l'ombre du milieu carcéral et des erreurs impardonnées pour lui, sa propre noirceur intérieure prête à imploser pour elle. De cette pénombre va naître une relation dominant/dominé, où chacun prendra le pouvoir sur l'autre, l'un par instinct, l'autre par renaissance. S'extirper d'un passé douloureux et d'un présent écrasant, tel sera le sel de leur entente fusionnelle et brusque. La frustration non plus comme moteur, mais comme cause pour combattre l'avenir et se donner raison.


Une réalisation minutieuse, intimiste et basée sur la solitude du personnage principal, sur la fuite, le fantasme, la violence, la rancœur, le doute, la passion surtout, tantôt formidable, tantôt éteinte. Le handicap du personnage de Emmannuelle Devos permet au spectateur de s'impliquer un peu plus dans le récit et de surligner encore plus ses angoisses et son dépouillement. La caméra est vivante, les gros plans saisissent la clarté d'un instant précis, parfaitement saisis par des ralentis illuminés, ils transcendent l'intimité pour en faire des étreintes complices avec le public. Bien loin d'une détresse sentimentaliste et sensationnaliste, Sur mes lèvres est un cri du cœur déchiré par le désir d'être écouté, entendu, mais surtout être quelqu'un aux yeux de n'importe qui, même de celui qui s'avère en premier lieu être le pire. C'est de ces rencontres impossibles que naît l'acceptation de soi.


Emmanuelle Devos est bouleversante dans ce rôle que personne n'aurait pu jouer aussi bien qu'elle, un rôle à la hauteur de sa personnalité hors norme et indispensable à notre cinéma. Vincent Cassel en ex taulard rongé par ses vieux démons est bluffant, comme à son habitude lorsqu'il côtoie de très près le réel. Sur mes lèvres est une réussite, une fois de plus, d'un mec un peu génie sur les bords, Jacques Audiard, qui révèle l'humain des endroits les plus perdus. Magique.

EvyNadler

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