2012 avait très bien commencé avec ce petit bijou du cinéma indépendant, réalisé par -à n'en pas douter- le futur grand Jeff Nichols (Shotgun Stories et bientôt Mud avec Matthew McConaughey). A une époque où la tendance est à la fin du monde/l'apocalypse, Take Shelter est, avec Melancholia, l'une des plus belles façons de filmer la fin de son monde (j'insiste sur le "son", le monde qui entoure l'individu) entre poésie, drame,contemplation et lyrisme.

A la sortie de la salle, l'impression générale tend à montrer que les spectateurs ont été les témoins d'un film qui ferait date dans l'histoire du cinéma, d'un film qui révèle un jeune réalisateur, d'un film qui sera étudié dans les écoles de cinéma, d'un film qui a tout simplement conquis son public. Et c'est le cas, Take Shelter est un véritable chef d'oeuvre, et c'est avec un grand mérite que la critique l'a acclamé et qu'il bénéficie d'une grande renommée aussi bien dans la presse que du côté des spectateurs.

Séquence silencieuse. Introduction. Du vent s’engouffre dans les branches d'un arbre imposant. Presque aussi vieux que l'Arbre de la Vie. Le bruit sourd de ce contact contraste avec le ballet chorégraphié des branches qui hypnotisent Curtis (Michael Shannon, un habitué de Jeff Nichols). Une bien belle manière d'ouvrir un sujet pas vraiment enchanteur. Take Shelter chante pourtant comme une poésie rédigée sous la colère d'un homme qui hurle la violence des mots. Ces mots qui sont remplacés par les images, tantôt de moments familiaux à des rêves d'une extrême violence psychique. Qu'est ce qui est réel quand tout ce en quoi l'on croit dépasse l'entendement, la raison ? Peut-on se faire confiance quand des antécédents dans la famille indiquent des cas de schizophrénies ? Comment réagir lorsque lon est sujet à des inquiétudes, des peurs, des prémonitions ? Le film interroge, répond ou ne répond pas, intrigue et délivre une conclusion brutal que chacun jugera bon d'apprécier ou non.

Take Shelter, au delà de sa portée apocalyptique, c'est aussi un film sur la famille et les liens qui la composent. Rendus à l'écran d'une manière tellement naturelle que c'en est beau, le film est un véritable bijou de sensibilité. Mais pas un beau dans l'aspect contemplatif, beau dans l'intimité des personnages à l'écran qui rappelle fortement les meilleurs films de Sundance. Cette histoire de famille est l'une des plus bouleversantes de l'année. Take Shelter transpire l'amour et la haine, le rire et la tristesse. En deux heures, Jeff Nichols évoque la famille sur l'ensemble d'une vie. Cette famille qui représente l'Amérique profonde, ces gens simples et naturels touchés par la crise économique, qui se battent pour "survivre" face à un système médical et social imparfait.

Le film flirte souvent avec le fantastique, aussi bien dans sa conclusion que dans la représentation des cauchemars de Curtis, illusoire car donnant l'impression d'être ancré dans la réalité. Impossible d'y voir une vraie différence entre réel et imaginaire, de manière à ressentir la sensation de Curtis à chaque réveil. Michael Shannon interprète cet homme tiraillé de toute part à la perfection (en pleine apogée lors de la scène du repas). Interprété un personnage aussi complexe est remarquable. Il donne cette impression de constamment s'interroger sur ses rêves (ses prémonitions ?) et il est touchant d'y voir un homme qui choisit de ne pas prendre de risques. Autant il cherche à se protéger en construisant cet abri anti-tempête, autant il va consulter un psy pour être sûr qu'il n'est pas simplement psychologiquement malade. Seulement voila, il ne peut concrètement concilier les deux sans influer sur sa famille. Jessica Chastain, aussi parfaite que lui, en rôle de bonne mère et de femme aimante, réussit tout autant à émouvoir, à alterner entre rire et colère, incompréhension et tristesse, le tout dans une grâce sublime. Les personnages du film sont vraiment les plus intéressants, les plus sincères qu'il m'ait été donnés de voir cette année.

La réalisation est parfaite dans son ensemble. L'esthétique des plans colle avec la douceur des musiques et le caractère violent des rêves. Les effets numériques peuvent décevoir mais pour le peu qu'il y en a, on ne s'en incommodera pas. Le rythme du film en bloquera cependant beaucoup. Mais une production de ce type se savoure comme un pur produit indépendant qui en dit plus qu'il ne montre, c'est là sa grande force !

En vrai-faux prophète (?), les vingt dernières minutes viennent mettre un terme à l'interrogation du film : Est-ce que Curtis a raison ? Ou est-il "complètement cinglé"? Même là, le film reste vague, divise le public et permet l'interprétation même si on pourrait croire que son final clôt le débat. Bouleversants derniers instants où Curtis n'ose se décider à connaître la vérité.

Amoureux du cinéma indépendant et du thème de la fin du monde, ne ratez absolument pas ce Take Shelter ! Peu importe l'interprétation que vous en ferez, tout ce qui fait l'essence du cinéma se retrouve dans cette oeuvre d'un autre genre dans un contexte où la fin du monde est dans toutes les têtes à l'approche de la soi-disant date fatidique. Cette année, Take Shelter est une tempête qui aura tout ravagé dans le paysage cinématographique.

L'un des gros morceaux de 2012 à n'en pas douter !

Créée

le 7 nov. 2012

Critique lue 1.2K fois

7 j'aime

Kévin List

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