J'ai une relation étrange avec Martin Scorsese. Ses films sont des classiques, De Niro est mon acteur préféré, j'ai des souvenirs merveilleux liés au visionnage de sa filmographie mais, malgré tout cela, quelque-chose bloque. Quelque-chose de mineur, de presque insignificant puisque je te répète si tu suis pas que certains de ses films font partie de mes favoris mais quelque-chose qui m'empêche d'être en totale béatitude devant lui comme je peux l'être devant Kubrik, Coppola, Kurosawa ou même Tarantino. En fait j'aime les cadrages de Scorsese, certains de ses plans sont parmi les plus beaux jamais réalisés et ce Taxi Driver ne fait pas exception (je pense évidemment à Travis, sur son canapé, mimant un flingue contre sa tempe), mais dès que la caméra bouge, dès qu'on passe dans la pure "réalisation" plus que dans la "mise en scène" il y a quelque-chose qui me gêne un peu. Ça doit être ces quelques faux raccords présents dans tous ses films, ou ce montage étrange dont la scène de fusillade finale de Taxi Driver est un bon exemple.
Reste que ce Taxi Driver est film superbe, avant tout grâce à un De Niro jeune et déjà au sommet de son talent. Quand je vois De Niro jeune j'ai toujours les larmes aux yeux. Cette filmographie, ce talent qui n'était pas encore allourdi de quelques tics désagréables, cette beauté de la jeunesse pleine de vie, pleine du souffle d'un cinéma nouveau. Taxi Driver est une de ses plus belles compositions, sa sobriété distante, son regard à la fois doux et dingue, de lui naît cette aura mélancolique, dépressive et extrême du film. La photographie n'est pas en reste avec un New York filmé de nuit, dont la crasse et la dépravation transpirent par tous les pores, sublimé évidemment par le sens du cadrage de Scorsese qui suggère toujours merveilleusement les émotions plus qu'ils ne les souligne. Car malgré ses quelques défauts, Scorsese est un cinéaste d'une sensibilité bouleversante.
Le reste de la distribution n'est évidemment pas en reste avec une Cybill Shepherd dont je suis tombé immédiatement amoureux en voyant pour la première fois le film, à l'âge de quinze ans. Cette histoire d'amour éclair est absolument sublime, infiniment intelligente, la composition de Shepherd parvenant à nous la faire aimer presque autant qu'un Travis à qui on reproche presque autant qu'on le plaint de tout foutre en l'air à cause de cette inaptitude à la vie qui le dévore. Cette femme a le regard mutin et intelligent. Et qu'est-ce qu'on peut attendre de plus d'une femme qu'un regard mutin et intelligent ?
Il faut évidemment parler aussi de Jodie Foster qui joue une prostituée de douze ans avec un naturel déconcertant et, du coup, déstabilisant pour qui n'a pas l'âme d'un pédophile. Son personnage, cependant, tire moins de choses de Travis que celui de Besty même si on ne peut pas éluder le côté "vigilante" de Bickle que Easy/Iris justifie.
Taxi Driver reste donc un grand film, important dans l'œuvre de Scorsese, peut-être un peu moins qu'on veut bien le dire dans l'histoire du cinéma, avec surtout une performance majeure d'un Bob qu'on aime tous d'amour. Je préfère tout de même Raging Bull, Goodfellas et même Casino mais me frappez pas je vous en prie.