Présenté au festival de Cannes en compétition officielle, pré-selectionné pour la course aux Oscars, sans doute aussi pour les César, 13 millions d'euros de budget, l'acteur le plus bankable en tête d'affiche, un réalisateur apprécié autant de la critique que du public et surtout un pari audacieux. Bref, dire que The artist était attendu au tournant serait un doux euphémisme. Est-ce que l'attente fébrile valait le coup ? Oui...et non.


A l'origine de The artist, il y a d'abord une idée un peu folle. A savoir faire un film muet en 4/3 à l'heure de la performance-capture, de l'IMAX, de la 3D et des blockbusters pétaradants. Idée bizarre certes mais motivé par un vrai désir, sincère, de cinéma. A savoir replacer le visuel, fonction première du 7ème art, au centre d'un hommage au cinéma des origines.


Cette idée, ce n'est pas celle d'un artisan habile dont le cinéma français regorge mais bel et bien celle d'un vrai auteur, Michel Hazanavicius. Oui, le même homme qui a rendu culte l'espion le plus raciste, misogyne et chauvin de la planète. Et la chose apparait finalement logique car Hazanavicius s'inscrit, depuis ses débuts sur Canal +, dans le sillage du pastiche et s'attache à investir des mécaniques de mise en scène et des genres codés pour mieux les tordre et en délivrer un substrat respectueux, légèrement amusé, foncièrement amusant.


Loin d'être un recopieur, Hazanavicius est un investisseur, en faisant "à la manière de", il invente sa forme propre. Entre ses mains, le cinéma des origines promettait donc d'être à la hauteur de la saga OSS, même si l'objectif, ici mélodramatique, était tout autre. Mais ce qui marche chez Hubert Bonnisseur de la Bathe semble ici être absent d'une machine grippé par sa déférence. Triste ironie du sort.


Car la grande faiblesse de The artist, c'est d'être tiraillé entre deux pôles sans arriver à trouver le point d'équilibre. Le premier pôle tient lieu d'hommage sincère au cinéma muet, et ce sous toutes ses formes. On passe ainsi du cinéma burlesque à Murnau en faisant un détour par Griffith. De ce point de vue, quand le film s'applique à décalquer la grammaire cinématographique de cette époque, il arrive quasiment à nous faire oublier qu'il est un film de 2011. Et c'est bien dommage !


Car le deuxième pôle qui tend The artist trahit ce gentil décalque pour offrir des figures cinématographiques plus modernes (la comédie musicale et des audaces à la Orson Welles), des mouvements d'appareils (généralement absents du cinéma classique) et des scènes absolument sublimes où la poésie se dispute à l'innovation. Il faut voir Peppy danser avec un portemanteau ou Georges constaté que même son ombre l'abandonne pour mesurer le potentiel sous-jacent du film. Dans ces moments, The artist devient ce que l'on voudrait qu'il soit tout le temps, à savoir le film de Michel Hazanavicius et non un travail appliqué de bon élève. Clairement, The artist n'est donc qu'un simple, quoique brillant, pastiche traversé ça et là de fulgurances incroyables. Si on devine constamment une vraie envie d'un jeu avec le genre, on sent également une trop grande déférence envers ce dernier qui bride la créativité bien réelle du réalisateur.


Pour exemple, il nous faut trahir une scène clef du film. Située à la fin du premier acte, cette scène est un cauchemar sonore du héros. Ce dernier entend tous les sons sauf celui de sa voix. Au fur et à mesure de la scène, le son devient de plus en plus agressif et troublant que ce soit pour le héros ou pour le spectateur (qui, jusque là, n'avait entendu aucun son diégétique). Passé la surprise de découvrir que, non, The artist n'est pas un film muet, on est surtout excité de voir une proposition aussi audacieuse et culottée. C'est un véritable point de bascule (presque le point de départ d'un nouveau film, encore plus ambitieux) que cette scène mais Hazanavicius n'en fait rien de plus qu'une expérimentation, une bonne idée qui surnage.


Et c'est cela qui frustre. Rattrapé par un vain exercice de style, le réalisateur ne fait qu'effleurer des idées incroyablement novatrices. Chaque jeu sur le son trahit, pour le meilleur, le film que l'on s'attend à voir pour le film que le réalisateur pourrait nous montrer. A savoir pas un film muet mais un film sur le muet. C'est là toute la nuance entre un grand détournement et une bonne copie. Entre l'attachement touchant mais trop pregnant à la mémoire du cinéma et une réelle modernité qui ne demande qu'à exister.


Au croisement entre déférence et modernité, il apparait peut-être aussi une forme de sécurité résultante de notre époque. Le public de 2011 n'est pas forcément coutumier du cinéma muet et l'expérience, en se voulant parfois inutilement ludique, prend le pas sur l'expérimentation pour ne pas perdre une certaine audience. L'intégration d'une quantité, même infime, de son (aussi captivante et réussie soit-elle) est déjà un premier indice d'une main tendue vers le spectateur novice. Mais surtout, la linéarité et la finesse de l'intrigue ainsi qu'un nombre important de longs cartons dialogals (qui contredisent parfois la volonté de raconter une histoire par l'image) achèvent de montrer que The artist assure ses arrières commerciaux et populaires.


Fait d'Hazanavicius ou de la production ? Au final peu importe sinon la démonstration que même un film aussi courageux se doit de faire des concessions grand-public pour espérer rentrer dans ses frais. Et toujours l'éternel dilemme de savoir si l'industrie veut donner envie aux gens de découvrir d'autres films muets ou ne veut simplement pas perdre trop d'argent, quitte à prendre les spectateurs pour des cons.


Pour parler briévement des qualités de fabrication du film, les mots sont légérement superflus car l'image parle d'elle-même. La photographie impeccablement contrastée, le cadrage et le découpage exemplaire ainsi qu'une direction artistique enchanteresse suffisent à nous prouver que, cette année, l'argent d'une production française est avant tout passé dans le projet et non dans le nez des acteurs. Des acteurs qui, au demeurant, arrivent habilement à trouver le juste milieu entre rappel des monstres sacrés (Fairbanks, Gish,...) et interprétation personnelle, plus poussée et moderne. Un casting réhaussé d'un partenaire canin complétement cabot (trésor de gags burlesques) et de seconds-rôles prestigieux (géants américains comme John Goodman, James Cromwell et Malcolm McDowell qui font ici preuve d'une incroyable modestie). The artist ne peut donc absolument pas rougir de sa forme. Le film est une proposition esthétique ambitieuse et réussie.


Mais au-delà de ses grandes qualités formelles et actorielles, il faut avouer que The artist péche lourdement sur le terrain du narratif. Si la construction est, là encore, exemplaire, c'est la densité de l'intrigue qui fait défaut. Pour triste preuve, le synopsis du film suffit à raconter l'histoire. On a ainsi l'impression constante d'assister à la lente illustration de l'état de fait que pose le film. The artist n'est, dans sa dernière heure, qu'une succession de scénettes didactiques qui montre, en alternance, le succès de Peppy et la déchéance de Georges.


Sur une durée d'1h40, il faut bien avouer que la machine finit par tourner à vide, le scénario en rond et le spectateur de s'ennuyer fermement. Pire, de tels choix influent sur l'émotion qu'on peut éprouver. Le mélodrame est un genre qui marche toujours sur un fil tenu, sa rythmique doit être imparable au risque d'en faire trop ou pas assez. Ici, on est dans le cas du film qui en fait trop. Chaque scène du troisième acte vise à émouvoir le spectateur mais à force d'être sollicité (et lourdement), le coeur ne répond plus. A ce titre, la fin du film, qui porte en elle une réelle charge émotionnelle, ne marche qu'à moitié, ne réussissant pas à nous bouleverser bien que tout soit réuni pour.


Cependant, il ne faut pas oublier que The artist était un pari. Que notre cinéma français, si frileux, ait pu produire ce film prouve qu'il existe encore, dans ce pays, des esprits qui estiment que de vraies propositions de cinéma sont possibles. De véritables alternatives aux comédies poussives et aux films d'auteurs nombrilistes gangrènant la production.


Il faut se féliciter que ceux qui tiennent le cinéma dans leurs mains, Thomas Langmann, Hazanavicius ou Dujardin en tête, se mettent au service d'idées aussi folles. La chose la plus importante concernant The artist, c'est avant tout que ce film existe.

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le 8 août 2012

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Adrien Beltoise

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