[...] Au travers de l'inévitable comparaison Bane/Joker, ce sont les deux films majeurs de la trilogie dont nous devons évoquer la trajectoire de collision, inévitable. The Dark Knight méritait son 10/10, parce qu'en plus d'un Joker porté par Heath Ledger, le film avait su appuyer là où ça faisait mal en ajoutant Harvey Dent à l'équation, mettant ainsi le Batman face à ses démons et son comportement de vigilante, toujours borderline. Comment traiter le problème de la délinquance sans outrepasser les limites ? De là, comment gérer un ennemi aussi redoutable et imprévisible que le Joker sans brûler la ville au passage ?

Bane charrie quant à lui des thématiques déjà employées dans Batman Begins, reprenant le combat de Ra's al Ghul contre une ville pourrie à la racine qu'il faut simplement rayer de la carte. Mais là où ça commence à piquer, c'est lorsque les policiers eux-mêmes se demandent quoi faire : surarmés grâce à la loi Dent, ils peuvent enfermer des femmes dans des prisons d'hommes, et font feu de toutes... poudres (d'ailleurs, Batman et Catwoman se lancent dans un débat pas forcément marrant sur l'utilisation des armes à feu). Et voilà que, suivant Gordon, Blake commence à se demander lui aussi si une structure organisée, dominante et trop sûre d'elle (la police, la justice) ne serait pas une entrave à l'établissement d'une paix durable dans la ville. Lui choisira au final la voie du vigilante, mais on voit aussi, durant la prise de pouvoir de Bane, les effets négatifs de l'anarchie - le tribunal fantoche mené par l'Epouvantail, notamment.

Voilà un film qui, contrebalançant les relents légèrement interventionnistes et extrémistes du Batman, exposés dans le précédent opus, tente de lui répondre une nouvelle fois en semant l'anarchie, mais une anarchie cette fois-ci contrôlée (la milice) et justifiée par ce pseudo-argumentaire : "le pouvoir c'est le peuple, pas l'argent". C'est bien beau, surtout que ça fait écho à l'actualité, mais en termes de narration, c'est un peu de la poudre aux yeux. Le Joker était parvenu à manipuler les Gothamites en détournant leur instinct de conservation, en utilisant leur part d'ombre. Bane les manipule à peine avec les richesses dont finalement seuls les plus retords s'empareront, alors que l'immense majorité attendra dans la peur le retour de son héros. On est loin des cas de conscience posés par le clown de service.

En somme, le Joker avait du corps : dominé par la folie, il avançait à visage découvert - le maquillage était son vrai visage. Il n'était pas de taille à affronter physiquement Batman, mais parvenait à lui tenir tête par la malice et quelques tonnes d'explosifs. Il faisait ressortir chez le chevalier noir et les Gothamites le glauque et le crasseux qui gît au fond des âmes. Bane est très impressionnant, et Tom Hardy a de la présence à l'écran ; mais son personnage est plus faible car il manque de fond, caché derrière son masque, avec sa voix déformée. Il n'apparaît finalement que comme un épouvantail... Pire, un homme de main qui aura, après tous ces combats, ces explosions, ces menaces, une mort brutale et expédiée en trois secondes sur un one-liner de Catwoman (sur les armes, justement). Dommage, d'autant que le "vrai" vilain du film est... comment dire ?

[...]

Un certain Lee Smith a réalisé le montage, et je tiens à lui cracher dessus personnellement. mais Nolan a supervisé le tout, il est donc aussi responsable. Et ce n'est pas la première fois que je crache sur un monteur alors gardons notre calme. Mais tout de même. Que le film mette une bonne grosse heure à entamer les choses sérieuses n'est pas un problème. Que le monteur ai cru bon d'enchaîner sans discontinuer des plans de moins d'une demi-seconde dès les premières minutes est par contre très ennuyeux : a-t-on cherché à masquer le rythme lent de la première moitié du film en la noyant sous ces images épileptiques ? Paradoxalement, le montage se tempère lorsque tout fout le camp à Gotham. Monsieur Smith aurait dû monter dans l'autre sens.

N'empêche, Nolan sait tenir une caméra, et les bons gros moments d'action spectaculaires ne manquent pas. Peut-être même sont-ils un peu forcés et ont-ils facilité deux ou trois incohérences. Chez Madmoizelle on relevait entre autres choses le fait que les policiers, après des mois dans les égouts, en ressortent toujours en uniforme et bien rasés pour leur combat épique contre la milice de crasseux menée par Bane. Pouvoir de l'image, quand tu nous tiens. De mon côté j'ai été particulièrement choqué par la vitesse à laquelle Batman parvient à s'éloigner de Gotham avec la bombe, moment qu'on voyait venir à trois kilomètres... et qui se retrouve résolu de manière spectaculaire et atrocement tiré par les cheveux : si Batman a une minute pour s'éloigner de la ville de dix kilomètres (rayon d'action de la bombe), il fait donc du 600 kilomètres à l'heure avec le Bat, au bas mot. Plutôt pas mal pour un engin qui le reste du temps paraît poussif. Et j'aimerais bien savoir comment il parvient à survivre à une vague de neutrons... mais peut-être son apparition finale n'est qu'un rêve d'Alfred ?

Le mot de la fin ?
Alors, ce TDKR, risible, raté, réussi, épique ? Malgré ses incohérences, un Bane qui souffre de la comparaison avec le précédent villain et une Marion Cotillard qui obtiendra sans doute la palme de la mort la plus faussement jouée de l'histoire du cinéma, le fanboy que vous êtes (oui, oui, je sais qui vous êtes) aura sa dose de frisson en voyant Blake découvrir la Batcave pour devenir, on n'en doute pas, Robin, le nouveau justicier dont Gotham a besoin. Ainsi Nolan conclut sa trilogie sur une note très positive, une note d'espoir. D'autant qu'il a décidé de ne pas tuer son héros. On en pensera ce qu'on voudra. Personnellement, ce n'est pas ce qui m'a le plus satisfait, Bale n'étant pas capable de donner à son personnage la profondeur nécessaire pour apprécier ce changement de vie.

Non, ce que j'ai apprécié dans TDKR, bien qu'il n'ait pas atteint les sommets de TDK, c'est cette façon décomplexée de mener la trilogie à sa conclusion, en sortant l'artillerie lourde (Bane) sans plus trop de préoccuper du message. J'ai vu le film comme un divertissement, comme j'avais vu le précédent comme quelque chose de plus pensé. TDKR a des défauts, mais il parvient à assurer le spectacle et conclure l'histoire de Gotham en restant fidèle à la trilogie. C'était le minimum syndical. On en voulait plus, certainement, mais nous servir un Joker numéro 2 ne semblait pas être l'objectif de ce troisième opus, et c'est peut-être tant mieux, car impossible. Prenons-le comme il est venu. Sans plus le comparer, mais en voyant les trois opus comme ayant chacun leur identité. Leur vilain. Leur héros.
Rasebelune
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le 26 juil. 2012

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Rasebelune

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