Attendu plus que tout autre film cette année, maintenant porté aux nues par les uns et conspué par les autres, The Dark Knight Rises vient clore la fameuse trilogie entamée par Christopher Nolan en 2005. Toujours à la barre, désormais statufié comme ultime descendant de Stanley Kubrick, le monsieur jouit d’une liberté quasiment incomparable dans le système hollywoodien. Le succès triomphal de The Dark Knight aidant, Nolan se permet à peu près tout pour une conclusion électrisante qui pousse cela dit encore un peu plus loin les travers des deux premiers volets.


Nolan a ses fans, Nolan a ses détracteurs. Que les premiers restent aveugles sur les indéniables faiblesses du metteur en scène, lui trouvant toujours des excuses, ne parait pas totalement surprenant, mais il faut bien préciser qu’avec The Dark Knight Rises, le cinéaste se complaît toujours plus dans le verbiage et le surlignement abusif de ses thématiques. Les personnages répètent inlassablement les enjeux et explicitent la moindre idée jusqu’à en effacer tout contenu métaphorique, cela afin de ne jamais perdre les spectateurs en cours de route. Pour capter l’attention d’un public gavé à la télé et bien souvent incapable de comprendre une image, Nolan fait passer l’essentiel de son discours par le dialogue plutôt que par l’image. Sur ce point, quitte à s’éloigner des fondamentaux du medium Cinéma, il est malin, son objectif étant de toucher le plus de monde possible avec des thématiques n’ayant à priori rien à faire dans le dernier blockbuster à 250 millions de budget.


Dans The Dark Knight Rises, Nolan ne joue même plus de la métaphore Gotham/New York, car Gotham y est New York. On reconnait Manhattan, on reconnait Wall Street, et l’intrigue, jusque dans ses dialogues tirés de véritables discours politiques, fait plus qu’allusion au 11 septembre, au Patriot Act ou encore à la crise financière. Le dernier Batman nous parle des relations houleuses entre faibles et puissants. Catwoman vole les riches. Bane ressemble à un Mélenchon extrémiste. Wayne perd sa fortune. La bataille fait rage jusque dans la Bourse de Wall Street. On rejoue aussi dans ce film la Revolution Française tout comme on y montre du doigt une société au bord de l’effondrement, qui se croit juste alors qu’elle est bâtie sur un mensonge. S’il est parfois en retard sur l’actualité, le réalisateur de Memento met souvent le doigt là où ça fait mal et fait preuve d’une perspicacité et d’une ambition qui, comme avec The Dark Knight en son temps, relève quoiqu’on en dise le niveau du tout-Hollywood.


Mais voilà, Nolan, comme dit plus haut, rabâche son discours jusqu’à ce qu’on « ne croit plus aux coïncidences », comme l’annonce l’un de ses personnages. Une lourdeur dommageable d’autant plus que le film semble oublier quelque peu ses super-héros. Ce Dark Knight Rises de 2h44 ne nous montre pas plus d’une vingtaine de minutes de Batman à l’écran, le double costumé de Bruce Wayne ne faisant son apparition qu’en dernier recours. On pourra aisément reprocher ce point-là, mais il faut constater que les courtes apparitions du Batman sont ici terriblement puissantes et iconiques, car attendues de pied ferme. Là où le bât blesse vraiment, c’est plutôt quand dans la dernière demie-heure, le cinéaste essaye in fine de rattacher son film à un esprit de bande-dessinée auparavant absent. Scènes d’action démesurées, twists à foison et gadgets incroyables s’y multiplient pour un final hésitant, énorme clin d’œil aux fans qui attendaient peut-être une conclusion épique, mais moins farfelue, d’autant plus que Nolan ne sait toujours pas filmer l’action, gère approximativement le montage et abuse du pourtant très réussi score de Hans Zimmer. Si ce dernier occupe bien 90% du métrage, il est au passage amusant de constater que la séquence la plus réussie du film, un affrontement glacial entre Bane et Batman, se fait dans un silence terrifiant seulement ponctué de quelques répliques bien senties.


Si finalement The Dark Knight Rises est un film admirable malgré ses défauts, c’est parce qu’il est d’une parfaite cohérence avec le reste de la carrière de Christopher Nolan. Plus qu’une conclusion à la trilogie Batman, il est une continuation de tous ses travaux. Cette fois-ci plus que jamais, les personnages sont des symboles à tel point que la prison dans laquelle est enfermé Bruce à mi-parcours -et qui renferme accessoirement la clé de l’intrigue et le trauma du bad guy-, ne peut matériellement exister. L’univers de Nolan, que l’on dit trop souvent réaliste, n’est en fait constitué que d’images mentales sorties directement du cerveau de ses personnages-symboles. La preuve : Bruce Wayne se retrouve en plein Gotham seulement quelques instants après être sorti de cette prison « du bout du monde ». Le trajet de la prison à la ville assiégée n’étant dans le montage tout simplement pas représenté (pour ne pas dire impossible selon toute logique spatio-temporelle), on peut aisément stipuler qu’il n’a jamais eu lieu, le seul parcours effectué par le héros étant l’épreuve mentale surmontée dans cette prison/caverne de Platon.


Conçu en trois parties comme les spectacles de magie du Prestige (1. La Promesse, 2. Le Tour, 3. Le Prestige), la saga de Batman vue par Nolan se conclut aussi avec de sérieux airs d’Inception. S’il approfondit encore ici la notion de « plan » comme projet réfléchi (qu’elle soit citée par un protagoniste ou non, on retrouve cette notion dans l’ensemble de sa filmographie), le cinéaste revient aussi à la grande proposition de son précédent long-métrage, celle de l’Idée à implanter dans un cerveau. À la fin de The Dark Knight Rises (qu’on ne révélera pas en ces lignes) une idée germe dans l’esprit de l’inspecteur casse-cou Blake ainsi qu’en chacun des citoyens de Gotham (et donc en chacun des spectateurs). Cette idée, c’est une certaine idée de la justice, du courage. Peut-être un peu naïvement, le cinéaste essaye d’éveiller des consciences politiques (qui « viennent de l’intérieur »). Les 2h44 de métrage sont pour Nolan 2h44 pour pratiquer son inception. Un pari risqué, pas toujours exécuté avec la plus grande dextérité, mais à l’ambition tout à fait appréciable.

Cinefan3000
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le 12 août 2012

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