L'évolution du traitement des personnages de comics a connu un sacré bond ces dernières années et témoigne désormais de nouvelles habitudes spectatorielles presque réjouissantes. Au début, le schéma est calqué sur celui de presque tous les films , du western au film noir : un bon et ses adjuvants, un mauvais et ses adjuvants, qui n'existent qu'en tant que bons ou mauvais. Schématique, mais éthiquement irréprochable. Est venu ensuite, puisqu'il fallait bien réexploiter les mêmes héros sans ennuyer, un intérêt concentré sur les motivations du héros : pourquoi en est-il arrivé là? La question n'est pas anodine, un héros semé de doutes et qui doit se justifier devant les spectateurs est déjà bien amoché en tant que héros, mais le fait qu'il aille attaquer un méchant toujours existant comme tel finissait par cautionner tous ses actes. Cela nous a donné des oeuvres comme Spiderman (bon divertissement) ou Batman Begins (un torchon sans nom exploitant tous les poncifs du genre).
Avec the Dark Knight, Christopher Nolan ouvre une nouvelle voie dans le traitement du bad guy au cinéma, et j'ose espérer que ce n'est que le début. Oui, on va encore parler du Joker, mais pas seulement. L'un des personnages les plus pop du cinéma depuis l'association Nicholson/Burton devient le vilain le plus tourmenté et le plus convaincant qu'il est était donné de voir depuis longtemps.
De ses origines, on ne connaît rien d'autres que les versions contradictoires qu'il en donne, et le fait qu'il redore les faits est en soin plus intéressant que les faits eux-mêmes. Le Joker est l'occasion pour celui qui se cache sous ses traits (et ne transparaît jamais) de vivre toute sa vie de manière littéralement cinématographique, dans une mise en scène constante. Cette relation de la créature à celui qui l'endosse n'est pas sans rappeler celle de Tyler Durden au narrateur dans Fight Club, mais le masochisme qui y transparaît a ici atteint des sommets : il n'y a plus aucun côté cool, le personnage est essentiellement tragique.
Il va sans dire qu'Heath Ledger vole la vedette à tous les autres acteurs, mais uniquement car le Joker a été écrit pour occuper le devant de l'écran. Le film s'achève sans victoire pour Batman, et même si le Joker a été neutralisé, on a le sentiment que c'est à lui que revient l'issu du match, car il ne cesse d'acculer tout le monde aux pires extrémités. Il a cette prédominance sur les personnages car son but est essentiellement contraires à celui posé dans un comic : Batman, Gordon, et Gotham en général cherchent à anéantir en le Joker une figure, une incarnation du mal. Le Joker, et il le dit lui-même, ne cherche en aucun cas à détruire le bien par le biais de son adversaire, car il sait pertinemment qu'il n'existe que dans son contraste avec Batman : supprimez l'un, et l'autre n'a plus de raison d'être. Le Joker ressemble presque à un scénariste venu directement dans le film pour aller expliquer à Batman en quoi son combat contre le mal est vain : il repoussera toujours un nouvel adversaire pour se maintenir en vie. Difficile, dès lors, pour Batman d'aller rivaliser avec un clown omniscient.
Qu'en est-il alors, pour Batman et les autres personnages secondaires? Soulagement, en constatant que Bruce Wayne a abandonné ses révoltes puériles contre l'aristocratie et évolue désormais comme un nanti bien dans ses baskets. Pour être honnête, je trouve Bruce Wayne bien plus convaincant et intéressant que Batman, mais passons. Les autres personnages se sont également réajustés sur sa nouvelle retenue, Alfred, Gordon et Fox gagnent en sagesse et en sérieux. Quand à Katie Holmes, elle est fort heureusement remplacée par Maggie Gyllenhaal, et passe de la gamine idéaliste insupportable à une jeune femme suffisamment subtile pour qu'on puisse s'inquiéter de son sort.
L'autre grande exploitation du film, c'est bien évidemment Double-Face. Aaron Eckart est un excellent acteur, aussi doué en jeune procureur dynamique qu'en fou furieux défiguré. Rien à redire sur sa prestation.
Gotham a elle aussi été entièrement retravaillée. Oubliant (il était temps!) les décors vaguement futuristes, elle ressemble désormais à toute ville américaine de l'Est. Le film y gagne en réalisme, et sa noirceur se voit d'autant plus. La fin est profondément pessimiste : même si Batman garde son rang en se sacrifiant au nom de la population, celle-ci aura prouvé pendant tout le film qu'elle ne le mérite pas (et l'épilogue de la scène des bateaux, seul bémol de l'ensemble car peu crédible par rapport au reste, ne vient pas racheter tout Gotham). Pour la première fois, l'univers des super-héros accouche d'un film adulte et abouti, servi par une B.O. impeccable.
Christopher Nolan tient, à mon sens, ici son chef d'oeuvre, un film en tout cas bien mieux pensé et pesé que son grotesque Inception.
lultrafame
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le 18 janv. 2011

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