Respecté en tant qu'honnête thriller, The Invitation s'applique à imiter le génie sans aller le chercher, revendique sa conformité comme un gage d'expertise. Ce dernier aspect pouvait encore le servir dans ses démonstrations, si seulement il avait le courage d'affronter ce qu'il titille : l'abaissement de la vigilance comme devoir social. Tout le long de ce dîner entre vieux amis, il s'agit d'accepter les ambiguïtés, censurer ses perceptions, afin de garder bonne figure dans un contexte mondain. C'est ainsi que la barbarie et le prosélytisme morbide se glissent : lorsqu'une communauté tient à tout prix à maintenir la bonne ambiance, une décence et une 'ouverture d'esprit' superficielles (c'est-à-dire l'acceptation béate mais au fond indifférente de tout et tous, compensée par l'intolérance des voix fortes ou critiques).
Il y a certainement parmi les auteurs de The Invitation des individus et créateurs capables d'un grand recul par rapport à ces questions et capables d'évaluer les tendances de leur époque ou de leur génération. Ils pourront communiquer leurs inspirations et la finesse de leurs ressentis dans des œuvres ultérieures ; dans The Invitation, il n'en reste qu'un substrat décoratif autour de mystères stériles. The Invitation traîne ses ambitions supérieures comme des boulets vertueux et ses exécutants sont aussi aveugles et serviles que les personnages conviés au dîner (oscillant entre apathie et doutes rapides face à la vidéo du ''mentor'' pour une existence connectée). La réalisatrice de Jennifer's Body et Aeon Flux a policé son style, ses enthousiasmes, sa vulgarité, pour s'aligner sur les canons du moment et miser sur les effets pour donner dans le drame de chambre contemporain avec un minimum d'efforts, de risques et de réflexion.
Cette seule malice lui permet de se faire écraser par les modes et dominer par l'air du temps. D'un côté, The Invitation cède à la nouvelle esthétique des films US avec petits-bourgeois jeunes, normaux et proches de vous – ou du moins de ce que vous devriez être pour appartenir à aujourd'hui et au demain d'aujourd'hui. Autrement dit, cette esthétique de post-modernes vides à l'imaginaire pédant et mou, forgé par les catalogues de meubles et de voitures pour grand-papa. Les personnages sont tous des trentenaires propres sûrement paumés s'ils s'écartaient d'Hollywood, le héros est un Tom Hardy (Bronson, Fury Road) de substitution (le hipster alpha qui serait au-dessus de cette masse dont il ne fait partie que pour des raisons sociales, externes), tout ce monde est colonisé par les magazines de psy et la culture synthétique, les témoignages discount sont le centre de la vérité émotionnelle et des indices de chaleur humaine.
The Invitation ne fait qu'étirer ce qu'il tient à défaut de savoir le pénétrer et même de le remplir. Il ne développe rien, rate les opportunités que traînent les gimmicks balourds déployés pour l'ambiance et l'installation du décalage (notamment l'inconnue, la fille d'à côté qui sait vos secrets, la vérité des intrigues et des préoccupations personnelles – contrairement à eux, à table – dans l'ignorance ou s'y maintenant). On aura droit à tout : flash-back mélo type pub pour appareil photos, abus de musiques crispantes, lourdeur à appuyer du rien et gonfler des étrangetés de pacotille. Des éléments sans aucune force s'amoncellent, il faut répéter sans cesse car rien n'a d'écho (la déco filmée au ralenti et les couloirs trop aérés suffisent pas). Tout explosera évidemment et au bout d'une heure, le barbu intuitif casse les non-dits ; c'est parti pour le bain de sang. Processus expéditif, réalisme oblige. La conclusion est porteuse de sens, un sens trop fort pour ce film pensant mal (si mal qu'il s'affale sur ce qu'il est censé manipuler), s'habillant chic et choisissant petit.
https://zogarok.wordpress.com/2016/05/10/the-invitation-2016/