Comme son prédécesseur Birdman, The Revenant d'Inarritu est vendu en fonction d'un parti-pris esthétique radical et de ses conditions de tournage zélées. Et comme les quatre autres longs-métrages de ce réalisateur (d'Amours chiennes à Biutiful), très ouvert à la publicité pour grandes marques par ailleurs, il est très ambitieux. Les décors sont splendides et authentiques, le recours à la lumière naturelle quasi inconditionnel, la photo est à la hauteur de ces atouts remarquables. C'est beaucoup et heureusement, car ici s'arrête la richesse du film. Il y a beaucoup de wallpaper à saisir dans cette affaire et c'est encore plus beau lorsque la caméra se dirige vers le ciel. Sinon c'est aussi costaud qu'une bande-annonce, le rythme en moins, puisque pour faire dans le Tarkovski de masse il faut s'en donner les moyens.


Inarritu accumule les effets qui ne servent qu'à montrer son aisance. C'est très bien pour son propre compte, mais étant déjà installé et rénovant que dalle, cette attitude est assez absurde – si l'objet de l'attention et du jugement est le film ; après tout, peut-être y en a-t-il un autre ? Marquer des points par exemple, fournir les images qui pourront soutenir le chef opérateur et le casting à la remise des prix les plus prestigieux mais aussi les plus hypocrites ? Après tout ce qui compte n'est pas le souffle et encore moins le corps qui le constitue ; ce qui compte c'est les morceaux qui claquent (l'attaque par un ours, en fait par le cascadeur Glenn Ellis, vire rapidement à cet état). DiCaprio imite à merveille le faim, le froid, la peur d'un incident, la peur de mourir, le mécontentement, etc. Amazing, really. Toutes ces démonstrations n'améliorent que rarement la beauté affichée, uniquement plastique ; leur vertu principale étant d'accompagner des sentiments de catalogues. Le centrage sur Fitzgerald et son fils est malvenu car tout ce qui concerne le second est débile. Par contre Tom Hardy (Mad Max Fury Road, Bronson) est le seul bourru charismatique et adéquat dans le lot, ce qui accroche quelques instants.


L'imaginaire est arraché aux 'fantasmes' de pub (le registre où il est question de sexe/shampooing), musique est conventionnelle, l'histoire des chasseurs et tout le reste insipide. C'est tellement ripoliné qu'il n'y a plus rien ; une prétendue objectivité morcelée et poseuse ; des mâles qui éructent leurs gueulantes ou des signes de dureté. Les performances sont assénées sur la seule base costumes/singeries ; ce sont juste des acteurs déguisés en aventuriers et ça se voit constamment. Le scénario étant fourni par une 'histoire vraie' et un roman assorti (traversée d'Hugh Glass en 1823 et The Revenant : A Novel of Revenge de Michael Punke en 2002), il vaut mieux en tirer et y ajouter le moins possible. Humilité, authenticité, dépouillement, respect théorique des faits : décidément The Revenant porte de grosses valeurs et il sait mettre le chaland au courant. Ironiquement on a tous les recours, les tics et l'habillage sonore familiers et 'blockbusters' pour emballer cette posture. Ensuite l'envers de cette belle volonté c'est l'absence de colonne vertébrale en tout ce qui est concerne les humains et le développement du film (personnages, aventures, détails croisés, thèmes ressassés). En revanche The Revenant touche au but dans sa reconstitution originale du temps. Le spectateur est embarqué dans une sorte de course sonnant réel, suivant un fil linéaire qui n'aurait pas conscience de lui-même, étant traversé par des anecdotes ou échappées visuelles ; les frontières habituellement relevées, les repères construits, se sont évaporés. Par là The Revenant impose un climat crédible, dans le sens où il reflète la confrontation à un espace-temps où l'humanité s'est évanouie, tout en étant, en esprit, toujours vivante au loin.


La prestation de DiCaprio sera intéressante pour les quelques moments d'action pure (se soigner, se nourrir, chasser) plutôt que pour ses variétés de sauvagerie et surtout ses souvenirs – ici travailler la densité humaine c'est mettre des flash-backs, ce qui est logique ; mais on est encore dans une intermission, à se détourner du présent, survoler le passé par bouts chéris ou hantant. Cette tentation de verser dans le petit drame de chambre est totalement incongrue. Les bonnes dispositions sont trop molles quand le fond est déjà inerte et insignifiant tel quel. Au final l'expérience est peu significative en plus de rester artificielle. S'il avait des ambitions naturalistes même 'en passant', The Revenant est un fiasco ; s'il est censé révéler le passage de l'Homme à son stade animal (et non au stade de l'animal véritable, qui est hors-de-question), c'est une opérette qui s'est trompée sur son identité. Toute ce fatras pseudo 'instinctif' pousse à ré-évaluer Essential Killing. Tout le langage du film, sauf pour faire passer la solitude face au néant dans la nature, mais dans ce qu'elle a de très subjectif ; tout le langage de ce film est faux. Lorsqu'il montre que ses personnages sont très cruels ; justement, il ne retient que ça, énumère les points de cruauté et les pose à l'écran. Tout ce film n'est qu'une comptabilité de prestige se la jouant sauvage et profond. C'est du Malick de grande surface luxueuse, d'élite – sans doute taillée spécifiquement pour les périodes de fête ou de grosses rentrées.


https://zogarok.wordpress.com/2016/11/02/the-revenant-inarritu-2016/

Zogarok

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