Carpenter est un réalisateur cynique et nihiliste ; ses films sont tous des westerns modernes où l'amoralité flirte avec l'ironie amère, baignant dans une violence parfois aride, parfois grand-guignolesque. Des films de genre, séries B brillantes et sincères, qui vont du slasher épuré à l'épouvante lovecraftienne en passant par la science fiction dystopique, qui gardent toujours un côté brouillon et brut de décoffrage qui fait partie de leur charme.
The Thing est l'exception à la règle, car maîtrisé de bout en bout. Avec ce remake d'un classique de 1951, Carpenter initie sa trilogie de l'Apocalypse, complétée par Prince des Ténèbres en 1987 et L'antre de la folie en 1994, où il met en scène à trois reprises des évènements qui mènent à une fin éventuelle de l'humanité (avènement de l'antéchrist, folie meurtrière générale). Ici, c'est une créature extraterrestre protéiforme qui assimile et remplace les êtres vivants à sa portée, et prête à tout pour survivre.


Rarement un film n'aura aussi bien réussi à jouer sur les deux tableaux apparemment opposés que sont la suggestion et l'horreur pure. Suggestion par les silences, les ombres, et la merveilleuse musique d'Ennio Morricone, dont le thème principal évoque un battement de cœur omniprésent ; horreur dans des tableaux sanglants où la chair et les os éclatent, s'allongent et se déforment au son d'un cri inhumain, laissant les personnages et le spectateur pétrifiés, saisis de dégoût et de fascination pour cette Chose si improbable et terrifiante... Carpenter crée une peur viscérale, un cauchemar arachnéen suintant dont les appendices empruntent à Jérôme Bosch et Francis Bacon, en maltraitant ainsi les corps et leurs intérieurs, et, surtout, en enveloppant son monstre de mystère. A l'instar de l'illustre Huitième Passager (qui lui aussi aime se faire un nid douillet de l'abdomen d'un homme), la Chose ne dit rien de son autre monde, se contentant d'exterminer notre monde.


Bien évidemment, cette plongée au cœur de l'inhumain ne serait rien sans le sieur Rob Bottin, véritable orfèvre débordant d'inventivité morbide qui nous offre une galerie de créatures dont chaque apparition glace. Les effets spéciaux demeurent resplendissants et n'ont pris aucune ride en plus de trente ans. Et puis il y a Kurt, yeux électriques et barbe foisonnante, qui portera le film de bout en bout avec brio.


John Carpenter signe avec cette symphonie funèbre son film le plus abouti, un bijou noir et pessimiste qui fait un feu de joie des derniers restes d'une humanité qui, elle, a toujours su cacher ses monstres intérieurs.

Créée

le 2 août 2011

Modifiée

le 25 janv. 2014

Critique lue 704 fois

16 j'aime

3 commentaires

dauphin_discret

Écrit par

Critique lue 704 fois

16
3

D'autres avis sur The Thing

The Thing
real_folk_blues
9

When Carpenter did love craft for special FX

Revoir un film vous ayant marqué dans votre (extrême) jeunesse et que vous aviez précédemment noté sur ces fameuses impressions gravées dans votre quasi subconscient peut s'avérer...foutrement...

le 12 sept. 2011

155 j'aime

21

The Thing
Kowalski
10

12 hommes enneigés

Bon, aujourd'hui, gros coup de folie, j'ai décidé de m'attaquer à du lourd, du très très lourd! Inconscient va! Je me lance dans la critique d'une des oeuvres figurant au top de mon panthéon...

le 31 mars 2013

144 j'aime

64

The Thing
DjeeVanCleef
10

Antarctique 1982

Où Plissken a encore ses deux yeux et porte une barbe d'Ayatollah. Deuxième adaptation d'un film d'Howard Hawks par John Carpenter après son «Assault on Precinct 13» qui pompait dans l’allégresse le...

le 7 nov. 2013

131 j'aime

31

Du même critique

Piège de cristal
dauphin_discret
10

"A brousse ou à hélice ?"

Bon, d'accord, 10 c'est peut être exagéré. Mais il faut au moins ça pour démarquer suffisamment Die Hard des autres films d'action. Die Hard est LE film d'action. The One. Celui qui donne ses lettres...

le 12 avr. 2012

18 j'aime

2

2001 : L'Odyssée de l'espace
dauphin_discret
10

À vous de voir.

Je pensais que 2001 l'odyssée de l'espace était un film. Rien n'est moins vrai. 2001 est une symphonie. 2001 est un tableau. 2001 est un poème. 2001 est une oeuvre d'art. Pour certains, voir le...

le 2 août 2011

17 j'aime

2

The Thing
dauphin_discret
10

Yeah, fuck you too !

Carpenter est un réalisateur cynique et nihiliste ; ses films sont tous des westerns modernes où l'amoralité flirte avec l'ironie amère, baignant dans une violence parfois aride, parfois...

le 2 août 2011

16 j'aime

3