Réalisateur peu prolifique (cinq films en près de 40 ans de carrière) mais ô combien talentueux, Terrence Malick (La Ligne Rouge, Les Moissons du Ciel...) sait se faire désirer et son dernier film, The Tree of Life, était l'un des plus attendus de l'année 2011. La Palme d'or qu'il remporta lors de la dernière édition cannoise n'a fait qu'accentuer les attentes autour du dernier bébé de ce grand cinéaste américain. Homme très mystérieux, grand formaliste et philosophe, Malick livre ici une oeuvre qui reste dans la continuité de sa carrière tout en marquant peut-être le début d'un renouveau, ce qui est d'autant plus plausible à l'heure où celui-ci a annoncé différents projets de films dans les années futures. The Tree of Life est en tout cas un des projets cinématographiques les plus ambitieux de ces dernières années et pouvait tout aussi bien être une réussite qu'un échec commercial et artistique cinglant. Chef d'oeuvre pour certains, déception pour d'autres, grosse supercherie pour une grande partie des spectateurs, ce qui est certain c'est que le dernier Malick n'a pas laissé indifférent. Voici mon opinion:



Je suis allé voir The Tree of Life deux fois au cinéma. Mon opinion a, en fin de compte, peu varié et je pensais que revoir ce film lors des ressorties du mois de janvier allait enfin m'épargner les quelques spectateurs ayant oublié d'activer le mode "savoir-vivre" avant de rentrer dans la salle et qui exprimaient bien fort leur mécontentement face à ce spectacle inhabituel. Bon hélas, ce ne fut pas le cas, je crois que certains ne se sont pas renseignés sur le films qu'ils sont allés voir. Petite anecdote, un quinquagénaire derrière moi s'amusait à répéter ce que disaient les personnages du film pour passer le temps tout en se moquant de ce qu'il ne comprenait pas et fort heureusement il s'est barré de la salle au bout d'une heure, constatant enfin qu'aucun coup de feu ne sera tiré durant le film. Malheureusement un cas assez représentatif de ce que j'ai subi en double lors de mon premier visionnage, là ça va, c'était plus calme mais de nos jours je trouve le manque de respect de certains spectateurs assez gênant, c'est pour cela que je démarre ma critique sur ce cri d'alarme: Si vous vous emmerdez, n'emmerdez pas les autres, surtout quand les autres aiment! Zut!

Allez, une fois cette parenthèse fermée, rentrons au coeur de l'analyse du film. Comme je l'ai sous-entendu en introduction, The Tree of Life c'est du Malick sans être du Malick, il y a en tout cas quelque chose d'indéniablement neuf dans ce film, dans la manière d'aborder les thèmes. Malick a recours a une narration éclatée, c'est probablement ce qui a laissé une partie des spectateurs sur le carreau. Point de linéarité, ce qui s'avère pertinent car en effet l'entreprise colossale du réalisateur a été de présenter la vie sous presque toutes ses formes et sur un laps de temps très étendu. En effet, le film évoque la création de l'univers, les temps préhistoriques et la vie d'une famille texane durant les années 50. Tout un programme! Malick mêle la vie à échelle macroscopique à une forme de vie à l'échelle microscopique, sans que ça choque, grâce à une maîtrise assez étonnante vu le sujet traité.


Visuellement parlant le film est juste magnifique, et je pèse mes mots. The Tree of Life comporte une tripotée de plans plus superbes les uns que les autres. Cette impression de surenchère que j'ai ressenti lors de mon premier visionnage a été quelque peu gommée lors du second, j'ai trouvé que ce défilé d'images était assez cohérent en fin de compte même si je trouve tout de même que Malick en a fait un peu trop. Néanmoins je chipote un peu, le film n'est pas qu'une carte postale animée. Au contraire c'est profond et ça renoue avec l'essence-même du cinéma, art en partie pictural à la base, en proposant une narration par l'image au détriment de l'utilisation de dialogues et franchement ce n'est pas plus mal, c'est même bénéfique au film qui propose en plus une expérience sensorielle plutôt marquante.
La mise en scène est de très grande qualité, j'apprécie aussi particulièrement le montage. Des passages souvent brefs, des raccords soudains, on sent une petite influence de la Nouvelle Vague. Un choix pertinent aussi, on sent comme une volonté de Malick de monter son film comme une accumulation de bribes de souvenirs de Jack, le fils aîné. Il y a tant à dire sur la mise en scène mais en même temps il est difficile de l'expliquer par des mots. The Tree of Life est plus facile à vivre qu'à expliquer, cependant mon deuxième visionnage m'a éclairci davantage sur les volontés du réalisateur. Le reproche qu'il lui est souvent fait est son approche de la religion. Non, The Tree of Life n'est pas de la propagande religieuse ou du moins je ne l'ai pas ressenti comme ça. Il faudrait aborder l'oeuvre d'un point de vue philosophique plutôt, Malick fut d'ailleurs professeur de philosophie. On y parle des croyances, d'une théorie exposant l'existence de deux voies: celles de la nature et celle de la grâce en se basant donc sur la vie de cette famille texane croyante qui présente des similitudes avec la création de la Terre exposée en première partie du film.



La partie se consacrant davantage à cette famille est pour moi la plus riche. La séquence relativement courte où l'on voit la naissance des gamins, où on les voit grandir est juste une des plus belles que j'ai pu voir au cinéma. Les gros plans sur le bébé en train de découvrir la vie, la petite scène où le grand frère voit le petit d'un air complètement fasciné sous un air de musique des plus jolis... De la narration par l'image vous dis-je, un ressenti dû au visuel. De plus Malick y expose un regard juste sur la famille et l'enfance, son évolution est réaliste. Pas de manichéisme ni de raccourcis scénaristiques téléphonés, ce portrait de famille teinté de social est d'une grande justesse et ceci passe par une interprétation de grande qualité. Brad Pitt et Jessica Chastain sont excellents, le premier confirme qu'il est l'un des meilleurs acteurs en activité et la seconde est une vraie révélation, qui je l'espère va connaître une carrière à la hauteur de son talent. Mais je porte une mention spéciale aux gamins qui sont juste étonnants, sidérants de naturel et tellement authentiques. Leur apprentissage de la vie, leurs jeux, leurs heurts avec le monde des adultes, des parents... Tout ceci est exposé de fort belle manière, surtout que les émotions sont là. Et c'est intelligemment pensé.
Le récit se basera davantage sur Jack, le fils aîné. Son évolution est à l'image de son éducation. Elevé par un père autoritaire, il deviendra à son image bien qu'il repousse celle-ci, rejettant ce qu'il devient, à la limite de se haïr lui-même. Il y a des passages fortement symboliques et forts, je pense à ce passage subtil où le gamin envisage l'espace d'un instant à tuer son père en desserrant le cric soulevant la voiture où ce dernier est en-dessous en train d'effectuer des réparations.

De l'opposition entre le père et la mère, représentant métaphoriquement et respectivement la nature et la grâce, naîtra un comportement englobant les deux "voies" chez les trois enfants de la famille. Le regard est plutôt dur et le portrait n'est pas brossé, il est même ambigu, ce qui est pertinent, à l'image de la vie de famille réelle. Outre sa dimension mystique, il me paraît quand même très approprié de dire que The Tree of Life est aussi réaliste quand il touche à la famille. Malick, le théoricien, propose une approche pertinente en se basant sur de nombreux aspects qui composent la vie de manière générale, montrant ainsi toute sa richesse, sa splendeur mais aussi ses parts d'ombre.
L'exercice propose en tout cas une excellente réflexion sur le sens de la vie et ce n'est pas si fermé que ça. En toute honnêteté je ne trouve pas que le film soit très hermétique. En revanche il nécessite bel et bien une ouverture d'esprit car d'une part c'est différent de ce que l'on peut voir dans le paysage cinématographique actuel, et d'autre part il laisse aussi droit à une libre interprétation malgré une ligne directrice bien présente mais masquée à première vue par une narration décentrée et un choix de thèmes qui brasse quand même très large.



Pour résumer, The Tree of Life est l'un des films les plus importants faits pendant les années 2000 et je lui prédis la postérité pour son ambition, sa démesure et son intelligence. Visuellement magnifique, c'est un film qui propose une expérience unique, loin des sentiers battus hollywoodiens et qui se permet d'être également touchante (du moins pour les personnes conquises par le sujet et la manière dont il est traité). Quelques petites scènes m'ont personnellement déplu, et la fin flirte un peu trop avec le cul-cul la praline (un des défauts récurrents de Malick, hormis dans La Balade sauvage, mon film préféré du réalisateur par ailleurs) mais après tout ça importe peu face à l'excellent travail réalisé. Ce film fera date et m'aura en tout cas convaincu. Je souhaite à toute personne de le voir au cinéma ou en Blu-Ray, ça en vaut vraiment la peine.
Brillant et un peu trop sous-estimé à sa sortie par les spectateurs, ce film mérite amplement sa palme d'or (même si cette année L'Apollonide fut vraiment mon petit chouchou). Ne vous braquez pas, mais laissez-vous aller, laissez-vous emporter par le film et vous y ressentirez peut-être ce que j'y ai ressenti. Un véritable plaisir et une belle leçon de cinéma. Un excellent film.

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le 17 avr. 2012

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Moorhuhn

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