L'exploration de la mémoire et la restitution des souvenirs est un thème souvent exploré au cinéma, et jamais aussi bien traité que de manière originale. Je pense à Michel Gondry et son Eternal Sunshine of the Spotless Mind, ou le plus classique 500 days of summer de Marc Webb. Et ici, Terrence Malick livre une interprétation magistrale de son voyage mnésique.
Original, le film l'est. Malick y imprime jusqu'à l'excès sa marque visuelle. Des plans en direction de la cime des arbres et des buildings, des plans verticaux sur des chutes d'eau. Des lampadaires, des arbres, du désert. Une caméra sans cesse en mouvement, qui ne s'arrête que sur le visage du personnage qu'il accompagne (La mère, le père puis l'aîné). Un procédé bien à lui qui consiste à allonger un plan par un faux raccord : le plan commence quelque seconde avant le précédent, d'un endroit légèrement différent du précédent. Il y a les rideaux qui volent, et la lumière ! La lumière qui apparaît ou qui disparaît constamment. De ce point de vue là, le film est véritablement le manifeste esthétique hipster. On croirait des images d'un clip d'Edward Sharpe & the Magnetic Zeros, ou encore the Phenomenal Handclap Band. Dans un bon nombre de scènes comportant des humains (il n'y en a pas tant que ça), on se croirait dans une pub pour Instagram. Chez Malick, la nature est belle, pure, les couleurs sont superbes (le contraste est-il retouché?) ; il n'y a pas de poteaux de fil haute-tension, pas de poubelles le long des maisons. La mer est bleu clair, l'herbe est vert vif, le feu est rouge sang et l'univers est noir ; les éléments sont parfaitement définis.
Et enfin, on y voit ces longs plans de volcans, d'univers, de collisions, d'explosions. Des plans superbes et très soignés, mais aussi lénifiants et interminables. Alors qu'il est entendu qu'on se déplace au cinéma pour s'y faire imprimer la rétine, le réalisateur choisit de "masser" la rétine de son spectateur en compilant des images minérales et oniriques. Pour notre malheur, il le fait au début du film alors que l'attention est maximale et la réceptivité à son comble. Au bout d'une demi-heure, l'enchaînement de ces plans devient indigeste, et on est sauvé par la musique tonitruante de Smetana qui devient un point d'achoppement de familiarité au milieu de cette expérience new-age. A ce moment-là, on est sauvé : le film va de nouveau ressembler à quelque chose qu'on connaît. Le son est d'ailleurs notre principal compagnon au milieu de ces enchaînements d'images, et tire un trait-d'union entre ceux-ci et l'histoire elle-même.
Malick est un merveilleux conteur. Sa manière de filmer en vue subjective épouse parfaitement son projet de rapporter un souvenir. Il met en scène chronologiquement une série de petites scènes d'enfance jouée justement et qui restituent avec beaucoup de vérité l'écologie familiale.Point d'analyse, mais une description dont la subjectivité passe du point de vue de la mère en début de film, à celui du fils aîné. S'il est adroit dans la mise en scène et dans la qualité des plans qu'il propose, l'adjonction du son est en revanche plus délicate. Les pérégrinations éthérées de début de film sont ponctuées de phrases murmurées et censées exprimer des choses profondes par des mots simples. Puisque l'action se passe dans le Texas dévot de la Bible Belt, ces phrase s'articuleront autour d'apostrophes à une entité supérieure, un Dieu considéré comme une sorte de barbu omnipotent. Les références à la religion sont très présentes mais considérées avec distance avec Malick, à tel point qu'on se demande pourquoi il remplit son film avec quelque chose de familier par la culture, mais étranger par le coeur.
Le symbolisme se veut délicat à l'image du susurrement des voix off, mais il devient vite lourdingue. Que ce soit le conflit identitaire intérieur au fils aîné (dois-je ressembler à ma mère ou à mon père?), la description du complexe d'Oedipe, la scène où la mère "remet" son fils à une autre femme, les images de fusion cellulaire et du sang qui circule symbolisant évidemment la vie et la scène finale. Sean Penn traverse le film comme un fantôme : il offre d'autres plans superbes mais ne sert pas vraiment la narration. On sent que Malick a refusé d'exploiter vraiment ce personnage, ce que je regrette personnellement.
Enfin, le film met le spectateur en face de son présupposé. Quand il va au cinéma, c'est pour regarder une histoire. Ici, le paradigme est différent : il s'agit d'une expérience sonore et visuelle plutôt qu'un récit conventionnel. Passé cet inconfort, il vient un film émouvant et fin qui montre une famille qui est la notre et qui nous rappelle que malgré son originalité, Terrence Malick est un réalisateur qui maîtrise parfaitement la capacité à insuffler à son cinéma le caractère universel.