Les deux premiers films de Terrence Malick, « Badlands » et « Days of Heaven » étaient de très grands films. Après une absence de vingt ans, le réalisateur revenait avec une pure merveille : « The Thin Red Line ». Dépassant les limites de la narration et du film de guerre, le réalisateur franchissait un cap en nous infligeant un choc émotionnel et esthétique hors du commun. « The New World » confirmait son habileté à élever ses personnages et son intrigue pour explorer des voies métaphysiques.
En quatre films seulement, Terrence Malick s'est imposé comme une figure majeure du cinéma. Faisant de la voix over une entité supérieure au récit, il a réussi à se servir de la caméra et de la fiction comme un philosophe se sert du papier. Il faut savoir que le monsieur a étudié la philosophie à Harvard et à Oxford, qu'il a enseigné celle-ci au prestigieux MIT et qu'il a traduit Le Principe de la raison de Martin Heidegger (philosophe réputé pour être intraduisible, la version française de son ouvrage majeur, « Etre et temps », fait toujours hurler les spécialistes).

Son cinquième film, « The Tree of Life », nous plonge dans les années 50. Jack, l'aîné d'une famille américaine, grandit avec ses deux frères entre un père autoritaire et une mère aimante. Il doit accepter l'arrivée de ses frères et souffrir l'obsession de réussite de son père. Quelques dizaines d'années plus tard, alors que nous comprenons que son père est sur le point de mourir, Jack se replonge dans son enfance, faisant le tour de ses rancœurs à la recherche d'une paix intérieure.

Avec « The Tree of Life », Terrence Malick gravit encore un échelon. Elargissant au maximum les limites de son récit, allant jusqu'à intégrer son drame familial dans la chronologie du tout, le réalisateur s'aventure là où plus personne ne s'était risqué depuis Stanley Kubrick. Parler de la vie, de l'homme et de sa quête de sens, du big-bang aux détails d'une existence humaine, voilà le sujet et le parcours du nouveau film de Malick (avec une telle ambition, comment voulez-vous reprocher au film d'être trop long ?).

De la perte d'un fils à la naissance de l'univers, des joies et des malheurs de l'enfance aux errances d'un homme dans sa vie, « The Tree of Life » alterne sans cesse entre entre micro et macro. Avec un regard profondément phénoménologique, Terrence Malick intègre l'être à l'Etre, comparant directement la croissance d'un homme à celle de l'univers. Le mouvement cosmique qui va du big-bang à la forme de vie la plus développée trouve alors son écho dans la croissance de Jack. Conférant une importance existentielle aux moindres détails, l'homme de Terrence Malick est le résultat de son vécu.
Le long flashback de Jack prend alors tout son sens : composé d'images incroyablement fortes (à l'image de l'affiche kaléidoscopique), il fait défiler ses souvenirs marquants qui ont déterminé sa vie. Chaque plan s'avère alors utile ; aucune image n'est vaine, comme aucun détail n'est insignifiant dans la vie d'un homme.
Illustrant son propos sans jamais l'énoncer, façonnant l'émotion par le non-dit (bien que cruciale, la jalousie entre les frères n'est jamais évoquée), le film touche le spectateur dans sa propre intimité. Faisant des personnages des archétypes, Terrence Malick réalise un film somme à la portée universelle.

Beaucoup reprocheront au film d'être trop ancré dans une typologie chrétienne (alors que tout le monde applaudirait des deux mains si, pour le même message, il passait par la philosophie orientale). Pourtant, loin d'être prosélyte ou créationniste, « The Tree of Life » est une œuvre darwiniste et panthéiste. Après « Days of Heaven », son film le plus biblique, Terrence Malick laissait déjà entrevoir une fusion de Dieu et de la nature dans « The Thin Red Line ». Son arbre de vie suit la même voie. Ne se servant d'aucune vérité révélée, il propose un cheminement spirituel pour atteindre la paix intérieure et la réconciliation. Où se trouve Dieu dans la dualité qui oppose Nature et Grâce ? N'est-il pas présenté par la parole de Job comme étant à la fois généreux et cruel (à l'image de la nature). Le père dévot est-il meilleur que la mère (figure de la grâce incarnée) ?
Si « The Tree of Life » est fortement imprégné de culture chrétienne, le Dieu de Malick est avant tout un dieu spinoziste, un « Deus seu Natura » des philosophes. Et c'est seulement une fois que le soleil disparaît (ou fusionne avec la Terre lors d'une éclipse) que Jack achève sa quête.

Sublimé par des images d'une beauté à couper le souffle et une caméra d'une légèreté inouïe, magnifiquement mis en musique (chaque choix se marie à la perfection avec les images, de la Grande Messe des Morts de Berlioz au Moldau de Smetana en passant par le Lacrimosa de Preisner) et servi par un casting où les ressemblances physiques s'avèrent troublantes, « The Tree of Life » s'impose comme un monument du cinéma. Avec son cinquième film, Terrence Malick transcende son art, dépassant toutes limites préétablies. Il nous parle de la vie, du deuil, de la famille et de la quête de chaque être humain. Odyssée humaine et spirituelle, « The Tree of Life » est la réponse romantique à « 2001 l'Odyssée de l'espace ».
Un chef d'œuvre.
Cygurd
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Ma dvdthèque, Top 2011, et Films (re)vus en 2013

Créée

le 26 mai 2011

Critique lue 601 fois

6 j'aime

2 commentaires

Film Exposure

Écrit par

Critique lue 601 fois

6
2

D'autres avis sur The Tree of Life

The Tree of Life
Malgo
3

Critique de The Tree of Life par Malgo

"Terrence Malick je te hais. Tu as volé 4h33 de ma vie Je hais tes fantasmes sur les arbres. Je hais tes fantasmes sur la femme pure et stupide et rousse à grosse bouche Je hais tes phrases...

le 1 juin 2012

268 j'aime

102

The Tree of Life
Torpenn
2

L'ennui vous appartient

Après le terrifiant Nouveau Monde, j'avais juré qu'on ne m'y reprendrait plus. Encore la preuve que je devrai m'écouter plus souvent. Terrence Malick est un primitif, un simple, un naïf, c'est ce...

le 26 mai 2011

204 j'aime

110

The Tree of Life
Clairette02
10

Le plus beau film du monde

The Tree of life n'est pas un film. C'est un voyage. A faire dans une grande quiétude, une sérénité totale, et en bonne compagnie, sinon vous allez vouloir sauter de l'avion ou du train, c'est selon...

le 19 mars 2012

150 j'aime

79

Du même critique

The Green Knight
Cygurd
8

La couleur de la honte

De prime abord, la filmographie de David Lowery peut paraître au mieux surprenante, au pire incohérente. Après des Amants du Texas trop inféodés au premier cinéma de Terrence Malick pour pleinement...

le 31 juil. 2021

86 j'aime

2

Midsommar
Cygurd
6

Le refus de la transcendance

L’extrême sophistication formelle du premier film d’Ari Aster, Hereditary, annonçait l’arrivée d’un cinéaste éloquent mais aussi manquant d’un peu de recul. Sa maîtrise époustouflante du langage...

le 4 juil. 2019

74 j'aime

11

Captain Fantastic
Cygurd
5

Le grand foutoir idéologique

C’est la « comédie indépendante » de l’année, le petit frisson subversif de la croisette, montée des marches langue tirée et majeurs en l’air à l’appui. Le second film de Matt Ross s’inscrit dans la...

le 12 oct. 2016

43 j'aime

39