The Tree of Life par Antoinescuras
En prenant la peine de feuilleter les divers avis sur le dernier Terrence Malick, l'adjectif qui semble revenir le plus souvent est "fragile". The Tree of Life serait une oeuvre fragile, avec tout ce que cela entraine, le bon comme le mauvais, un poème visuel bouleversant pour les autres, abscons pour d'autres. On y traite d'errance métaphysique, de foi, de deuil, toutes ces problématiques aussi alléchantes que la perspective d'un cours de philo avec Michel Onfray.
C'est d'ailleurs ce qu'on lui a souvent reproché à Malick : son coté cours de philo pour les Nuls, ce style imbitable visant à plaquer des monologues intérieurs affectés sur des récits aussi rebattus que le film de guerre à la Anthony Mann (La Ligne Rouge) ou le film d'époque (Le Nouveau Monde). Dans tous les cas, sans trop y toucher, sans trop mettre en avant l'amusante assonance patronymique, c'est le fantôme de Kubrick que Malick invoquait.
Ici, rien ne change, mais tout est différent. Au cours du long chemin qu'a constitué la production de The Tree of Life, quelque chose a émergé chez Malick et on y gagne, indubitablement. De la montagne de rushes, d'improvisations, de tentatives avortées et autres inserts de nature qui peuvent atterrir dans une salle de montage à l'issue d'un tournage de Malick, le réalisateur a décidé cette fois-ci d'en faire quelque chose de différent, de pousser son style dans des retranchement délicieusement déstabilisants. Le film en ressort plus éclaté, mais définitivement plus grand.
Ainsi, on s'amuse, tel des archéologues, à déceler ça et la les vestiges des scènes, les contours du scénario original, régulièrement laissé de coté au profit de jeux d'enfants saisis sur le vif, tous ces heureux accidents qui peuvent advenir lorsqu'on laissé évoluer une actrice et un nourrisson en bas âge sur une pelouse.
Malick se pose définitivement en une sorte de bizarro-Kubrick, un doublé opposé, malade, faisant éclater les structures, la où le réalisateur d'Orange Mécanique ne pensait qu'à ça, la structure. Comparer The Tree of Life avec 2001, l'Odyssée de l'Espace reste malgré tout pertinent. Tout deux se réclame de l'oeuvre maousse aux ambitions stratosphériques, proposant bien peu modestement au spectateur de toucher à l'essence humaine, au Grand Inconnu. Mais Kubrick, lui, parait de quelque chose. Une oeuvre littéraire (Arthur C. Clarke), un genre (la science-fiction) et un contexte historique favorisant l'intérêt du public pour ce type de récit (les années 60, la course à la Lune). Malick, lui, ne part de rien ou de si peu, une chronique familiale 50's, un drame intime qu'il connecte par la grâce d'un montage tout en strates et en planètes au Big Bang, au petit rien et au Grand Tout. Point de référent philosophique clair (Nietzsche chez Kubrick), point de gimmick cinématographique vendeur ("la plus longue ellipse de l'histoire du cinéma"). Juste une ballade proustienne pas très sauvage sur 2h30, une tentative de plus de projection de la"pensée filmée" où la distinction entre fantasme et réalité est par bien des moments opaque. Mis en perspective, The Tree of Life s'apparente à une oeuvre autrement plus courageuse. Plus fragile, donc.
Mais même une oeuvre aussi éclatée ne saurait se soustraire à l'exercice analytique car au fond Malick ne fait que parler de ce dont il a toujours parlé : la remise en question. Ou plutôt le questionnement de l'être à l'orée d'un événement décisif (guerre, révélation, deuil, etc.). Ici, au début du film, la petite famille doit faire face à la mort d'un de ses plus jeunes enfants. Le pourquoi du comment, on ne nous le dira pas, et on s'en passera bien au final. Le Deuil ressenti comme injustice du cosmos, le chamboulement de l'ordre établi pour ce petit clan chrétien par nature, très American Way of Life.
La figure centrale, le père, incarné par Brad Pitt, Inventeur et musicien frustré, administre à sa progéniture une éducation sévère, cruelle par bien des aspects, censée leur inculquer l'indépendance, le respect. Quand Jack, l'ainé, pend conscience l'injustice d'un tel traitement il commence à faire preuve d'insolence, commet de menus larcins, etc. C'est la mort du père, la mort de Dieu, passage adolescent connu de tous, la mise à bas de cette figure surplombante et autoritaire. Un père qui ne vous protégera surement pas, vous nuira certainement. On peut alors très cyniquement célébrer une absence temporaire de ce dernier, casser des carreaux ou danser irrespectueusement sur les bancs d'une église méthodiste...
Ces deux prises de conscience, l'une soudaine, l'autre progressive, encadrent une longue séquence, qui fait beaucoup parler : planètes en mouvement, éruptions volcaniques, dinosaures blessés, Big Bang. Grossièrement, cette pure bouffée de créationnisme vient contrebalancer le dogme, ramène paradoxalement à la réalité. Il ne faut pas y voir l'envolée lyrico-philosophique d'un cinéaste extravagant et prétentieux. Mais plutôt l'émanation proustienne des idées noires des protagonistes, du personnage Malickien frappé par le Monde. "Et si au fond, on était rien ?"
A ce constat terrible, Mrs O'Brien, incarnée par Jessica Chastain, propose dès le début du film un élément de réponse en opposant "the way of nature and the way of grace". La Nature, la beauté terrifiante de l'infini, ces magnifiques images spatiales fournies par la NASA, l'Homme comme animal régi par l'instinct de survie ou de conquête (cf. les dinosaures). La Grâce, la captation de l'instant qui définit tout le geste cinématographique de Malick, la perfection de la création comme dans cette scène qui voit Brad Pitt contempler les pieds de son premier né. Accepter sa condition ou se croire un enfant de Dieu, malgré tout.
Dans un accès de foi quasi désespéré, Malick réconciliera tout le monde via un purgatoire final en mode Land-Art-sur-plage. Sean Penn y côtoie Brad Pitt, la mère son fils perdu. On s'y croise, s'y recroise, en recherche autant qu'en communion. Le spectateur du 21eme siècle, lui, ne pourra s'empêcher de repenser au final de la série Lost, plus grand récit cryptique de ces dernières années. Il s'agit de se remémorer, de pardonner, d'être en paix, de se convaincre au milieu de nulle part que l'on est pas rien.
Les vrais reproches qu'on peut adresser à Malick sont inhérents à ses ambitions. "Une oeuvre cosmique, un hymne à la vie" pour citer la production. C'est un film large, ample, conçue comme étant universel et qui se doit d'arborer un œcuménisme de bon aloi. C'est rebutant, fascinant, étrange, mais imposant et dévastateur. The Tree of Life grandit en vous, fait son office et au final bouleverse.