Michel Gondry a construit son film autour du comportement de l’individu en société en fonction des personnes qui l’entourent. Chaque personnage évolue. On y retrouve cette sorte de hiérarchie un peu clichée des jeunes occidentaux. Les bourreaux, les victimes, les couples, les intellos ou encore les artistes s’entassent dans un huit clos durant près d’une heure et demi.
On considère alors ces protagonistes criant de réalisme comme on regarde du coin de l’œil, un peu distrait nos voisins du bus. Le ressenti de l’action est juste et très bien mené. Sans vraiment les juger, on rit, on se questionne et on s’attache à ces personnages malgré les préoccupations directes de cette génération. « J’invite qui à ma soirée ? », « Regarde la meuf à vélo », « prend un chewing gum et jette du yaourt sur la grand-mère et frappons nous avec des cuillères ». Au-delà du mépris que pourrait inspirer ces quelques scènes, la curiosité et la mélancolie dominent avant tout. Le talent du réalisateur est qu’il réussit à intéresser le spectateur à ces petits problèmes. Bien au-dessus de ces futilités, Gondry souligne probablement le comportement instable et solennel de ces individus. Il donne une tournure mélancolique à un début on ne peut plus comique. À sa manière, il met en exergue la solitude des adolescents, l’importance qu’ils accordent à ce qui est dérisoire, leurs problèmes de tolérance, d’intégration voir même leur manque de conviction. Les histoires au cas par cas relèvent souvent d’affaires dont on ne se souvient que vaguement. Il parle de règlements de compte en y alliant les sentiments, l’exclusion, le sexe ou encore l’infidélité.

Gondry a un regard observateur, impartial voir honnête. Il constate l’écart des générations et l’importance liée au paraitre plus qu’il ne les critique. Il choisit de représenter la jeunesse telle qu’on la voit. Son parti pris dominant est la transparence, l’impartialité et la retranscription coute que coute de la réalité. En contrepartie, l’agacement pour les élèves du fond ne se fait attendre et la lassitude domine ce même agacement.
Cependant, le jeu d’acteur est très convaincant. Il parait d’autant plus réaliste lorsqu’on nous fait part de l’avancée et du parcours de ce projet. L’atmosphère générale du bus, l’oppression, le malaise, le crépuscule gérés de manière maligne. On se sent apaisé lorsque la nuit tombe. La fin est proche et la stupeur laisse place à la morosité. Le va et viens incessable entre l’intérieur et l’extérieur ainsi que les moyens mis en œuvre pour faire vivre cet extérieur sont incroyablement bien retranscrits. La mise en scène reflète tout à fait la société numérique. L’utilisation de la vidéo est judicieuse et la manière de faire exister l’extérieur par l’intermédiaire du portable, des vitres durant la scène de la pizza, des textos et des appels deviennent le seul moyen de communiquer vers ce monde. Le bus qui devrait illustrer une libération après l’enfermement dans les établissement scolaire devient à son tour une prison quotidienne. L’agencement se révèle être ingénieux également lorsqu’un des jeunes narre sa soirée de manière excessive.

On remarque également quelques similitudes avec la tragédie. On commence par introduire les personnages en présentant leurs tourments ; ici les bourreaux et leurs victimes, les dilemmes des jeunes filles, l’affection de Teresa pour les garçons qui la brusquent, les musiciens qui se font maltraiter. Puis on finit par démonter les bourreaux ; Michael, leader au départ se retrouve ridiculisé, prend ensuite le rôle de confident puis est rejeté pour finir en de bon termes avec Terasa. Des passions naissent entre les caractères et on choisit d’y mettre ou de les laisser en suspend. Gondry souligne la vulnérabilité de ces personnages. Malgré l’effet compilé des meilleurs gages et histoires, on ressent très justement la sensation d’être le voyeur, de s’immiscer dans la vie privée des individus. On en sort émue, touché, familiarisé avec les personnages et pourtant ce film nous laisse au final qu’un souvenir furtif qui s’est estompé avec le temps. On passe de la parade à l’intime, bien loin de l’agitation du début. Comme si le tumulte était décroissant.

En dépit de la redondance excessive de la chute, cette très courte séquence est la plus significative d’après moi. Pour en arriver à cette conclusion je me suis penchée sur cette question deux semaines après être allée voir le film. Finalement peu de moments bien définis me sont restés en tête. Elle réapparait comme une transition entre chaque acte, comme une entracte. C’est un rouage qui, d’après moi dynamise la mécanique de ce film. Sans elle, cela ne marcherait pas aussi bien. Au départ elle amorce un canular filmé à l’encontre d’Elidja. On l’y voit courir dans une cuisine, glissant sur du beurre et terminant sa trajectoire sur les fesses, contre le frigidaire. La vidéo se diffuse dans le bus en se l’envoyant sur son téléphone. La plus part des gens se la transmette et Teresa se retrouve exclue de ce moment. On voit alors la puissance et l’importance qu’ils accordent aux médias aujourd’hui. Ce qui s’avère être un simple texto peut déprimer un individu et créer l’isolement. Le summum de la vidéo est lorsqu’elle se trouve finalement combinée à une chanson. D’ailleurs Gondry lui-même souligne l’importance de celle-ci lorsqu’il nous fait part de son origine à travers la lettre à la fin du film.

Au final, The We and The I est un film très agréable et bien plus léger qu’il n’y parait. En dépit de ce dynamisme, il n’aura pas vraiment marqué l’esprit. La fin est surprenante, le dénouement par la mort d’un personnage annoncé par texto est plutôt bien trouvé. Il met en avant quelque chose de pathétique, de plus que ce message est mis de côté pour favoriser l’organisation d’une soirée. Quelque part il témoigne d’un manque de lucidité, ces personnes ont envie de croire en une vie éternelle .Cela aura pour finalité de rapprocher Teresa et Michael et amorcera le début de l’été. Au final, c’est un joyeux mélange entre le drame et le comique. Le bus est une transition, comme une étape décisive sur la tournure de leur vie prochaine. L’extrême solitude et le manque de solidarité entre chacun des personnages est une vision un peu précaire d’une génération.
Roxanelh
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le 4 déc. 2012

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Roxane Lhéoté

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