Auteurs inclassables et pourtant toujours reconnaissables, les frères COEN ont essaimé avec talent humour caustique et noirceur indéniable tout au long de leur œuvre. Avec True Grit, ils retrouvent les étendues sauvages texanes de No Country For Old Man et y réalisent leur premier véritable western, faisant renaître de ses cendres un âge d'or révolu.

Adaptation fidèle du roman culte de Charles PORTIS déjà porté à l'écran un an après sa parution en 1968 par Henry HATHAWAY, True Grit est, comme son nom l'indique, une histoire de culot. L'impertinente en question est Mattie Ross, jeune fille de quatorze ans déterminée à venger la mort de son père. Elle engage le coriace marshal Rooster Cogburn afin de poursuivre l'assassin jusqu'en terres indiennes, rapidement rejoint par LaBoeuf, arrogant Texas Ranger interprété par un Matt DAMON méconnaissable, également aux trousses de Tom Chaney. Tous deux se soumettent à la présence de la fillette tant son obstination est forte et ses négociations efficaces. En effet, Mattie, du haut de ses quatorze ans, est finalement la plus adulte de tous, et le parcours initiatique contenu dans cette œuvre concerne davantage les deux hommes, cow boys puérils et susceptibles se provoquant incessamment, que la jeune fille. Jeff BRIDGES – acteur fabuleux ayant déjà fait ses preuves auprès des COEN dans The Big Lebowski en 1998 – reprend ici le rôle du rustre marshal borgne Cogburn qu'interprétait un John WAYNE au sommet de sa gloire dans la première adaptation. Les réalisateurs, bien que très fidèles au livre et par conséquent à la version d'HATHAWAY, marquent sur ce point une différence de taille : autant le film de 1969 érigeait John WAYNE en icone, autant les COEN traitent ce cow-boy vieillissant au plus près de sa nature hirsute et crasse. Nous faisons d'ailleurs connaissance avec ce personnage par un dialogue déconcertant, sa voix rauque émanant des toilettes, conversant sans aucun complexe avec la fillette. Plus tard, c'est dans sa « chambre » que nous le retrouverons, bourru et à peine réveillé, déambulant parmi les viandes suspendues. Western crépusculaire à l'image de son héros sur le déclin, True Grit est décidemment plus rugueux que la première version, n'hésitant pas à aller vers la violence et les motifs nauséabonds – tel cet homme en décomposition pendu trop haut que Mattie doit décrocher – mais aussi vers des rapports ambivalents dans le trio de personnages. Malgré l'interprétation sans faille du trio d'acteur, la beauté de la photographie et une maîtrise de la narration jubilatoire, True Grit peine à s'imposer et ne va guère beaucoup plus loin que la proposition d'HATHAWAY. La première partie – ne manquant toutefois pas d'intérêt par la façon dont les COEN traitent les moments de négociation et de procès – traine pourtant en longueur et le film ne nous emporte véritablement qu'à partir de la traversée de la rivière, fantastique moment de cinéma ponctuant de son insolence et de sa bravoure l'obstination de la jeune fille forçant pour la première fois l'admiration de Cogburn. Aussi True Grit est-il sauvé de l'anodin par ces scènes gracieuses et oniriques, telles que le plan d'ouverture où la caméra semble avancer dans la noirceur du néant pour se fixer finalement sur une « tâche lumineuse » où l'on distingue peu à peu le cadavre du père et où d'étranges flocons se mettent à tomber ; puis, à la fin du film, la longue chevauchée rédemptrice de Cogburn et Mattie, sombrant peu à peu dans une nuit noire aux teintes bleutées somptueusement filmée.

On regrette l'aspect un peu trop bavard de True Grit et l'absence d'audace et de décalage qui caractérisent habituellement les réalisateurs. De fait, les COEN composent ici un hommage vibrant mais néanmoins très premier degré dans ce qui restera l'une des plus impersonnelles de leurs œuvres. Le film mérite toutefois le détour ne serait-ce que pour découvrir l'excellente jeune actrice Hailee STEINFELD, savourer le jeu de Jeff BRIDGES ou se laisser emporter par les moments de grâce de cette chevauchée fantastique.
Elenore
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le 3 mars 2011

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