Sur le papier, Two Lovers est proche de Woody Allen et de son Manhattan : New York, le milieu juif, la névrose, les multiples romances… En réalité, il en est un contre-point quasiment parfait: le Queens et non Manhattan, la classe laborieuse et non les artistes, les troubles bipolaires sérieux et non une ludique angoisse existentielle. Le ton est surement ce qui distingue le plus radicalement James Gray de son ainé. La première scène, une tentative de suicide, donne le La, le traitement sera dramatique. James Gray livre un film très personnel ; à la fois réalisateur et scénariste il déploie amplement à la fois son point de vue et son talent. Pour être franc, on ne se tape pas de rire sur les cuisses à chaque scène. Pour autant, l’engagement du réalisateur apparait si entier et sincère, son premier degré si assumé que nous sommes saisis par ce regard porté sur l’Amour.

Ô l’Amour… ses affres, son désespoir, sa renaissance, sa conjugaison au pluriel, ses dilemmes ; James Gray est un romantique. Nous suivons l’incarnation de Joaquin Phoenix (magnifique performance toute en intériorité), jeune homme probablement trentenaire qui, après des fiançailles rompues, rencontre deux jeunes femmes. Bien que James Gray confère une certaine épaisseur à chacune des figures féminines (Gwyneth Paltrow est tout de même mieux servie que Vinessa Shaw), elles sont archétypales. Le nœud scénaristique repose sur le dilemme universel entre l’amour-passion (ici rapproché de la destruction) et l’amour-raison.

James Gray est un formidable réalisateur, sa mise en scène comme la qualité de son image (il faut louer le travail du directeur photo, Joaquín Baca-Asay, officiant également dans La nuit nous appartient) sont prodigieuses. Certaines scènes sont des éblouissements de sensibilité. James Gray parvient à effleurer l’extrême sensibilité de son protagoniste ; il filme les sommets comme les gouffres sentimentaux avec une pudeur lui évitant le sadisme. James Gray est un excellent réalisateur classique. D’un grand raffinement et assurément érudit, il nous permet de réviser nos classiques, chaque air d’opéra choisi a sa signification, son écho narratif.

En peu de mots, nous avons adoré l’état à fleur de peau dans lequel nous a laissé le film. Le générique de fin fait l’effet d’un abandon, une traitrise de ne pouvoir suivre plus loin ces vies si sensiblement dépeintes devant nous. New York n’aura jamais été aussi gris et morne. Figé dans cette réalité terne, trop sensible, le personnage de Joaquin Phoenix est un adulte aux émotions adolescentes. L’émancipation semble encore bien lointaine. L’Amour est une puissante machine régressive dans ce film. Quelque humour ou quelque soupape de respiration nous auraient soulagé, tant pis ; les interrogations habituelles de Woody Allen trouvent ici un autre traitement, sérieux et sensible, tout aussi talentueux.

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Auteur : Maxime
LeBlogDuCinéma
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le 26 sept. 2012

Modifiée

le 26 sept. 2012

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