Voilà un documentaire vu cette année dans mon quartier, la trop fameuse Villeneuve, film qui rappelle les tout débuts de ce projet urbanistique. Tourné en 1973, il montre alors les espoirs que les premiers habitants mettaient dans leur installation dans ce quartier moderne encore inachevé.


Au début, de belles images, beaucoup d’enfants à rollers au pied des tours. Ces enfants, on les revoit à plusieurs reprises dans le film, dans les coursives, ces grands couloirs où ils jouent, et où on mange régulièrement ensemble, entre voisins. Au début donc, on se demande un peu quel est le genre du film : a priori, c’est un documentaire, mais ces enfants à roller, qui produisent de beaux mouvements et des images sympas sont un peu trop construites et cela instille un doute sur la véracité de ce que l’on voit. Cette utopie, quoique qualifiée ici de raisonnable, n’est-elle qu’une fiction ? Ce que l’on nous montre ici n’est-il que pure invention ? Ce doute disparait par la suite, mais je regrette que le réalisateur ait cédé à ces belles images, je regrette que le réalisateur laisse un peu trop déborder son enthousiasme pour ce qu’il voit même si, j’en suis certain, ce qui se passait à l’époque dans ce quartier était probablement enthousiasmant. Ces enfants, ce ne sont plus exactement les mêmes aujourd’hui. Mais si on vient dans le quartier à l’heure de la sortie de l’école, dès qu’il fait beau, on les retrouve nombreux dans le parc, dans les jeux, sur les pelouses. Tout n’a pas complètement changé même si l’on est aujourd’hui un peu plus désabusé, il reste encore de nombreuses traces du projet de départ qui, on le voit dans le film, n’était pas complètement ficelé mais laissait place aux initiatives de habitants.


Une utopie raisonnable ? En tout cas, on a voulu construire du neuf, à la Villeneuve de Grenoble, pas seulement des cages à lapins, mais un cadre de vie permettant la rencontre, l’échange, et l’épanouissement de chacun, quelque soit son âge, son origine, son milieu professionnel ou sa catégorie sociale. En cela, oui, on peut parler d’utopie, et il est peu facile aujourd’hui, de parler de « rêve brisé » comme l’a fait un reportage scandaleux acheté par Envoyé spécial et diffusé par France 2 en septembre 2013. Reportage qui a suscité une forte réaction des habitants, et même un communiqué du CSA qui déplore « en particulier que seuls les aspects négatifs du quartier aient été mis en avant, stigmatisant l’ensemble du quartier de la Villeneuve » ! Il est suffisamment rare que le CSA réagisse pour ne pas le noter ! Malheureusement, ce reportage ne fait que reproduire une nouvelle fois une image noire d’un quartier qui ne le mérite pas.


Bref, tout n’est pas rose à la Villeneuve, c’est une évidence, les difficultés sont nombreuses, mais l’on peut y vivre très bien, sans craindre pour sa sécurité plus qu’ailleurs, et il s’y passe beaucoup de choses positives qu’on ne voit pas partout. A titre d’exemple, cette année, j’ai pu dans mon quartier écouter l’historien Gérard Noiriel parler de l’histoire de l’immigration (31 mars 2015). Ou encore Daniel Maximin parler d’Aimé Césaire (23 janvier 2015), et si ça peut se produire n’importe où ailleurs, il n’empêche que ce soir-là, c’était en bas de chez moi, dans une soirée organisée par notre café associatif, le Barathym ! Juste pour dire qu’aujourd’hui, l’image noire de ce quartier, comme d’autres certainement, mais je ne les connais pas, cette image est fausse, et si je me bats pour, modestement, tenter de la réhabiliter, c’est parce que les gens qui y vivent aujourd’hui méritent mieux que cet opprobre.


Mais revenons à nos moutons, et à ce documentaire de Claude Massot. Mai 1968, c’était hier, et il en reste bien des traces, comme ce petit qui fume à la maison devant sa mère sans que ça pose problème. Surtout, on est à une époque où on avait des idées, où l’on croit encore pourvoir imaginer l’impossible, où l’on espère pouvoir créer une autre société. Témoin cette femme qui quitta Paris pour s’installer dans cette Villeneuve dans laquelle les habitants allaient pouvoir construire leur cité dans un esprit nouveau. Et il faut bien dire qu’on est ambitieux. Les écoles seront ouvertes, au propre comme au figuré : pas de barrières pour les fermer (il en reste encore une ouverte aujourd’hui, et la cour pour les enfants, c’est le parc, quand tu te balades, tu passes donc au milieu de la cour !) et surtout, l’école est ouverte aux parents, qui peuvent venir faire profiter les enfants de leurs savoirs. On s’essaie aussi à des pédagogies différentes, on cherche à donner aux enfants l’autonomie la plus grande possible, l’idée est de leur apporter les moyens de s’auto-instruire avec le principe de base que ce soit un plaisir d’aller à l’école, même si on peu regretter que le film n’aille pas très loin dans les descriptions des pratiques pédagogiques. Dans le quartier, il y a alors un atelier bois, où chacun peut venir construire ses meubles, il y a un centre audiovisuel, une télévision locale faite par les habitants pour les habitants, où on apprend notamment aux enfants à se servir de tout le matériel pour produire leurs propres films (ce sont eux qui tiennent la caméra, la perche, s’occupent du son, jouent, etc.) ; il y a des équipements collectifs intégrés, des résidences pour personnes âgées placées de telle sorte à être sur le chemin des écoles, pour favoriser les rencontres entre générations. Sur ce point, je signale que mon fils, ce semestre, va manger une fois par semaine dans cette résidence, persistance du projet originel qui incluait la mise en place de relations intergénérationnelles.


De façon plus générale, il s’agissait de faire une place à l’Homme, de tenter de le rendre plus heureux. Rien que pour ça, la Villeneuve valait le coup. Et si aujourd’hui les difficultés sont nombreuses, je peux aussi vous dire qu’il reste de nombreuses traces de cette utopie, et que je préfère vivre dans ce quartier où tout le monde se dit bonjour plutôt qu’en centre-ville où chacun s’ignore.


Bref, ce film est pour moi un prétexte pour parler de mon quartier si décrié, mais c’est bien plus que cela, un témoignage sur une époque, sur la volonté de réaliser des utopies et sur les difficultés que cela représentait. Un film qui permet de se rendre compte qu’on abdique un peu vite et que si tout n’est peut-être pas possible, il n’est pas forcément vain de souhaiter le retour de l’imagination au pouvoir.

socrate
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le 5 avr. 2015

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socrate

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