Vous êtes un comique de la télévision nippone, vous avez la quarantaine tapante, et alors que vous avez bâti votre carrière dans le manzaï avec un acolyte qui sera vite oublié, il vous tombe sur les bras un film noir —un film de commande— salement lâché par son réalisateur initial (Fukasaku) sur lequel il vous faudra tout prouver étant donné que vous êtes un novice dans l'art apparemment délicat de concevoir un métrage.

Réalisation plus scénario, avec une pincée de gros doutes sur vos épaules et quelques kilos d'absence totale de confiance de vos collaborateurs.

Miam.

En 1989, Kitano prend donc tout le monde à contre pied. Grave et enjoué —pour souligner le burlesque de l'existence, si ce n'est l'absurdité qui la caractérise parfois— il impose sur son cahier de brouillon une vision toute personnelle de la violence aux traits déjà assurés, quand bien même il lui faudra encore quelques (peu, en fait) films pour asseoir un style désormais reconnaissable entre tous; fait de calme délicat et d'explosions de fureur aussi furtives que saisissantes.

Ici, pas de Hisaishi dans les environs, ni dans le prochain (JUGATSU), mais un choix particulièrement pertinent, à contre pied encore une fois; celui de la Gnossienne N°1 de Satie. Il faut voir ce flic, sorte de Dirty Harry sans aucun zen (parceque là où il y a de la zen y a pas de plaisir, hein) à la démarche de pingouin se présenter pour la première fois de face au spectateur, costume de rigueur, tel un clown à l'apparence inoffensive tout relative, pourtant plus qu'explosif et sans concession.

Déjà, Kitano et la musique entretiennent un rapport marquant par son décalage, soulignant ainsi avec une extrême finesse toute l’ironie de son regard sur ses personnages et leur destin.

On voit bien dans Violent Cop les prémices des futures réalisations du Beat Takeshi d’alors. Avant de devenir Kitano, le novice raillé par son équipe et ses acteurs impose avec la rigueur qui le caractérisera son sens du cadrage, de la dynamique et de la mise en scène. Cette mise en scène tire un bénéfice plus que certain des années de manzaï du Asakusa Kid: réparties tirant parti du principe du Boke et du Tsukkomi (tourner l’autre en ridicule), antagonisme des protagonistes (le duo Azuma – Kikuchi), la nature absurde de la plupart des situations, et bien sûr l’allure même du violent cop en tête d’affiche, dont le thème musical l’accompagnant est plus qu’éloquent.

On peut aussi s’amuser à noter qu’Azuma, nihiliste, espiègle —pas encore vraiment suicidaire mais tout aussi jusqu’au boutiste, fait figure de croquis des futures incarnations de Kitano dans ses productions pré années 2000.

Personnellement, j’ai vu Hana Bi comme un écho à Violent Cop; ou disons plutôt que Violent Cop semble évoquer un brouillon de ce que sera Hana Bi.

Un personnage de flic sans concession, entouré d’une femme malade l’enchainant à une condition emplie de fatalisme dont il ne pourra se défaire sans passer par un acte définitif et auto destructeur. Une violence soudaine, qui surprend par son contraste, voire par la dichotomie du moment (je pense à la scène avec les gosses, par exemple), et qui vient entre couper des instants calmes, posés.

Ca ne vous rappelle rien ?

L’ami Joe viendra plus tard, les tics faciaux, la gueule enfarinée et la maturité artistique aussi.

Violent Cop ne manque pas de maladresses, comme toute œuvre de jeunesse. Kitano se cherche encore tout en s’imposant. La forte personnalité qui émane déjà de la mise en scène interpelle et marque le spectateur, certaines scènes hors figures de style sont d’ailleurs assez réussies (la poursuite en voiture). C’est amusant de noter que ses collègues de tournage, devant la singularité de l’approche de Kitano, ont déclaré sans vergogne qu’il ne savait pas filmer.

(- 1995, Sonatine: Prix de la critique au Festival du film policier de Cognac
- 1997, Hana Bi: Lion d'or à la Mostra de Venise
- 2003, Zatoichi: Lion d'Argent - Meilleur Réalisateur à la Mostra de Venise)

Vous êtes un comique de la télévision nippone, vous avez la quarantaine tapante, et vous transformez un film de commande en une introduction à une filmographie faite d’humour décalé, de violence fulgurante, d’auto psychanalyse, de mise en abime, et de poésie figurant parmi les plus marquantes des années 90.

À contre pied… dans la gueule.

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le 31 oct. 2012

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