Virgin Suicides par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Au cours des années 1970, M. et Mrs Lisbon et leurs cinq filles habitent dans un quartier résidentiel d'une ville du Michigan. La mère de famille, enfermée dans ses principes religieux, est très rigoureuse dans sa façon de vivre et d'élever ses filles. Le mari, professeur de math au lycée, est un doux rêveur qui ne contrarie en rien les décisions de son épouse. Tous deux ne perçoivent pas le drame qui se déroule dans la tête de Cecilia, la plus jeune des filles qui, oppressée par ce cocon familial particulier, va faire une tentative de suicide. Elle est alors reprise en main par un psy auquel elle va déclarer au détour d'un entretien: " Docteur, vous n’avez jamais été une fille de 13 ans". A partir de ce moment les drames vont s'enchaîner et défrayer la chronique. Grâce à la curiosité des copains des sœurs Lisbon il nous est retracé l'histoire de ces jeunes filles qui n'ont pu supporter la soumission à laquelle elles ont dû faire face durant leur courte existence.


Une tentative de suicide est le plus souvent un appel au secours. Une Mrs Lisbon enrobée dans la vanité de ceux qui ne dévient jamais du chemin qu'ils se sont tracés, un père soumis aux "doctrines" de sa femme, des enfants en mal de liberté, de relations et de tendresse, tout est réuni pour que se produise une explosion au sein de ce petit monde très fermé. A sa deuxième tentative Cecilia "réussit" à quitter un monde trop cruel malgré un étau entr'ouvert par la mère de famille autorisant enfin la tenue d'une "boum" à son domicile en compagnie de quelques garçons aussi intimidés que les filles. Quelque temps plus tard le père va obtenir de sa femme que leurs charmantes demoiselles participent au grand bal du lycée. Lux, l'aînée qui a déjà fait la connaissance de Trip Fontaine, le tombeur de service, va être alors éblouie par l'amour, mais les conséquences vont s'avérer dramatiques. Les quatre sœurs seront séquestrées. Malgré la solidarité de leurs amis de lycée observateurs, intrigués et inquisiteurs, le résultat en sera fatal. "Elles étaient pourtant heureuses" déclarera Mrs Lisbon, toujours aussi sûre de sa "pédagogie éducative".


Ce drame hors du commun qui s'est déroulé dans les années 1970 est tout à fait réel. Cette œuvre brillamment adaptée du roman de Jeffrey Eugenides par Sofia Coppola bouleverse et révolte. Elle fait découvrir le mal être d'une certaine adolescence de ces années-là, années où la jeunesse, s'émancipant au grand jour, mettait fin à certains tabous aux sons de nouveaux rythmes musicaux. Cette évolution, sous ses airs d'insouciance, ouvre brutalement les portes aux jeunes filles entre autres, lesquelles vont enfin pouvoir pour la plupart s'exprimer, se défendre dans une société ingrate et difficile qui jusque-là se montrait souvent répressive envers elles.
Ce drame est filmé de main de maître avec beaucoup de sensibilité mais aussi avec une grande originalité. Ce "désastre" qui s'est déroulé dans un milieu bourgeois très croyant, inconscient de l'évolution de la société et des mœurs, est fort bien décrit. Ces ados incomprises et donc déconnectées des réalités de la vie se trouvent en grand danger face à ce monde dans lequel tout va très vite. Tout cela est parfaitement démontré dans ce film qui nous fait part de l'incompréhension d'une telle situation en nous gratifiant de témoignages de voisins et des souvenirs des copains de ces cinq ados infortunées, vingt ans après les faits. Grâce à eux nous remontons le fil de cette "affaire" à la manière d'une enquête scrupuleusement menée afin de nous démontrer avec force les méfaits commis par une certaine société sclérosée par une morale abusive.Le voyeurisme des journalistes paraît parfois déplacé et insistant. Toutefois, grâce à leurs reportages et articles, ils ont permis de pointer un doigt accusateur sur ce fait de société.


Pour la réussite d'un film et pour l'efficacité d'un tel propos, il faut que les interprètes révèlent une grande crédibilité. C'est ici le cas et bien entendu je ne peux tous les citer mais parmi eux, il me faut ressortir le grand talent de Kristen Dunst, Hanna Hall, A.J. Cook, Leslie Hayman et Chelse Swan respectivement dans les rôle des cinq sœurs: Lux, Cecilia, Mary, Therese et Bonnie toutes très émouvantes et naturelles. Trip Fontaine, le méchant séducteur ado, est interprété par Josh Harnett. Kathleen Turner et James Woods tiennent le rôle des parents par qui le malheur arrive. A noter également la présence de Danny De Vito très crédible dans son personnage du Docteur Homiker. J'aimerais insister aussi sur la B.O. de ce film qui est absolument formidable, collant parfaitement à ce sujet et à son époque.


Que dire de plus si ce n'est que Sofia Coppola est bien par son grand talent la fille de son père. Pour son premier long métrage elle nous offre un magnifique et émouvant cadeau avec cette œuvre difficile mais ô combien prenante. Ce film est franchement à voir et à revoir !

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le 18 mai 2015

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