Loin de moi l'idée de jouer les nostalgiques du dimanche et les vieux cons mais il faut bien avouer qu'à une certaine époque, le cinéma avait une sacrée gueule. Il n'était pas parfait, loin de là, et il a toujours été question de pognon, de recettes, de récompenses et tout ce que vous voulez mais en échange, il savait nous offrir des récits marquants, imaginés par des francs-tireurs n'ayant pas peur de ruer dans les brancards et de gratter là où ça fait mal. Premier film américain à aborder la guerre du Vietnam alors que l'oncle Sam ne veut plus en entendre parler, "Voyage au bout de l'enfer" fait indéniablement parti de ces oeuvres qui marquent durablement.

Fresque d'un intimisme grandiose, le film de Michael Cimino se construit clairement en trois actes d'une durée à peu près égale. La première illustre le quotidien d'une poignée de working class heroes, des fils et des filles d'immigrés faisant tourner la machine américaine, une population modeste dont les fils s'apprêtent à partir à la guerre comme ils vont à la chasse, confiants en l'issue d'un conflit qui devrait se régler en quelques semaines.

En une petite heure, Cimino et ses scénaristes croquent des personnages criants de vérité, avec leurs forces et leurs faiblesses, prend le temps de saisir pleinement les enjeux humains du drame qui va se jouer, nimbant l'atmosphère d'un voile nostalgique et parfois lyrique absolument bouleversant, avant de nous envoyer sans sommation ni préparation dans un enfer putride, un cauchemar éveillé vu du point de vue des soldats américains, un monde de souffrance aussi bien physique que psychologique, le cinéaste n'y allant pas de main morte pour nous montrer l'horreur de tels événements, la tension culminant lors de la fameuse scène de la roulette russe, instant d'une incroyable barbarie renforcé par l'interprétation tout simplement ahurissante des comédiens.

Puis vient le retour à la maison, un retour amer et nourri de désillusions, les héros d'hier devenant des parias, des estropiés, des âmes perdues, incapables de communiquer avec ceux qui sont restés et devant faire face au regard fuyant d'une Amérique préférant ignorer ceux qui lui rappelle une défaite qu'elle n'avait pas prévue. Une dernière partie plus posée, peut-être longue par moments, mais qui saisit avec une acuité sidérante ce sentiment de flottement, cette sensation de ne plus appartenir à un monde qui nous était si familier.

Controversé à sa sortie pour le regard "haineux" qu'il semble porter sur les vietnamiens (mais qui se justifie par le point de vue adopté), "Voyage au bout de l'enfer" est un chef-d'oeuvre qui laisse pantelant, une décharge en plein coeur portée par le thème bouleversant de John Williams et par des comédiens au sommet, un drame puissant et universel, aussi violent qu'il peut être délicat, un des derniers grands représentants du Nouvel Hollywood avant que tout ne se casse la gueule.
Gand-Alf
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Gand-Alf and Emma Peel's Excellent Bluraythèque., Un film, une scène., Les meilleurs films de guerre, High School Movies. et 365 days of magic... or not.

Créée

le 26 mai 2014

Critique lue 2.7K fois

115 j'aime

6 commentaires

Gand-Alf

Écrit par

Critique lue 2.7K fois

115
6

D'autres avis sur Voyage au bout de l'enfer

Voyage au bout de l'enfer
guyness
9

My dear hunter

Avec voyage au bout de l'enfer, l'occasion nous est d'emblée offerte de revenir sur le désastre que peut constituer un titre français par rapport a l'original (désastre qui peut s'appliquer aux...

le 10 mars 2011

154 j'aime

8

Voyage au bout de l'enfer
Gand-Alf
10

One bullet.

Loin de moi l'idée de jouer les nostalgiques du dimanche et les vieux cons mais il faut bien avouer qu'à une certaine époque, le cinéma avait une sacrée gueule. Il n'était pas parfait, loin de là, et...

le 26 mai 2014

115 j'aime

6

Voyage au bout de l'enfer
Kobayashhi
9

Les jeux sont faits. Rien ne va plus !

Voir The Deer Hunter des années après au cinéma, c'est une expérience à vivre, c'est se rendre compte encore davantage des formidables qualités de ce récit inoubliable qui forme un tout. Un film de...

le 9 oct. 2013

83 j'aime

12

Du même critique

Gravity
Gand-Alf
9

Enter the void.

On ne va pas se mentir, "Gravity" n'est en aucun cas la petite révolution vendue par des pseudo-journalistes en quête désespérée de succès populaire et ne cherche de toute façon à aucun moment à...

le 27 oct. 2013

268 j'aime

36

Interstellar
Gand-Alf
9

Demande à la poussière.

Les comparaisons systématiques avec "2001" dès qu'un film se déroule dans l'espace ayant tendance à me pomper l'ozone, je ne citerais à aucun moment l'oeuvre intouchable de Stanley Kubrick, la...

le 16 nov. 2014

250 j'aime

14

Mad Max - Fury Road
Gand-Alf
10

De bruit et de fureur.

Il y a maintenant trente six ans, George Miller apportait un sacré vent de fraîcheur au sein de la série B avec une production aussi modeste que fracassante. Peu après, adoubé par Hollywood, le...

le 17 mai 2015

208 j'aime

20