Welcome
6.9
Welcome

Film de Philippe Lioret (2009)

Voilà un film très riche, qui aborde de nombreux thèmes intéressants, comme la situation les clandestins dans le Nord de la France, la politique répressive de la France à leur égard ainsi qu'en direction des Français qui les aident, mais aussi les relations familiales dans les familles kurdes (de façon plus brève il est vrai).

On a d'abord une description de la vie de ces clandestins qui vivent dans la « jungle » de Calais depuis la fermeture du camp de Sangatte et qui ne souhaitent que gagner le Royaume-Uni, quel qu'en soit le moyen. Des hommes prêts à risquer leur vie, franchissant les frontières accrochés sous des trains ou la tête dans un sac en plastique, pour échapper au pire et espérer du mieux. Des hommes confrontés au rejet de la société française (exemple, la scène où l'on voit deux clandestins refusés dans un supermarché sous le prétexte, donné seulement à deux Français, qu'ils « dérangent les clients »), société qui les empêche de partir en Angleterre mais qui ne veut pas d'eux sur place. Des hommes confrontés à des passeurs qui leur extorquent d'importantes sommes d'argent sans garantie de réussite et qui ont affaire à une police française qui ne les ménage pas, c'est le moins qu'on puisse dire (dans le film, on leur inscrit même sur la main un numéro avec un marqueur indélébile. J'ose vraiment espérer que ça ne se passe pas comme ça dans la réalité. Si c'est vrai, ce que j'ai quand même beaucoup de mal à croire, c'est honteux pour notre pays, faisant écho à de sombres pages de l'histoire. Si ce n'est pas le cas, c'est regrettable car si ce film n'est pas un documentaire, Lioret n'avait vraiment pas besoin de ça pour sa démonstration.)

Welcome est aussi un film sur la France d'aujourd'hui, avec ses différents visages. D'abord des Français solidaires qui ne peuvent supporter la misère, quelle qu'elle soit, et qui s'engagent pour apporter un peu de chaleur à ces clandestins, de la nourriture et des vêtements, tels les militants des restaus du cœur ou plus modestement, mais dans le même esprit, l'Auvergnat chanté par Brassens. Des avocats qui tentent de les défendre mais surtout de simples citoyens, dont certains prennent des risques importants depuis la mise en place d'une législation très dure avec ce « délit de solidarité » dénoncé par de nombreuses associations (« toute personne venant en aide à une personne en situation irrégulière est passible de cinq ans de prison »).

Face à cette France ouverte, on nous présente aussi la France du rejet, qu'elle soit incarnée par des individus (comme le voisin de palier de Simon) ou par l'Etat. Philippe Lioret appuie en effet sur ce qui fait mal : la France des droits de l'homme méprise ici les clandestins (exemple, le policier qui déchire la photo de la petite amie de Bilal) et met en place une administration chargée de les oppresser et de bien leur faire comprendre qu'ils n'ont pas leur place sur le territoire. Et qui tente d'empêcher les Français de leur apporter tout secours (législation sévère, menaces sur les bénévoles, tentatives pour les décourager) : Simon est convoqué par la police car il a pris des clandestins dans sa voiture, les policiers entrent chez lui de bon matin pour voir s'il n'en héberge pas, on surveille ses faits et gestes pour le coincer et éventuellement « mouiller » son ex-femme dont on aimerait bien qu'elle cesse d'aider les clandestins, même si la distribution de nourriture et de vêtements n'est pas illégale).

Ce qui est intéressant, dans ce film, c'est qu'il montre l'ensemble de la machine administrative mise en place pour décourager et humilier les clandestins et les Français qui oseraient vouloir leur apporter assistance. Il évoque en effet des mécanismes répressifs qui font penser à des pages sombres de notre histoire, de la délation des citoyens aux actions policières multiples en passant par l'extrême fermeté de l'institution judiciaire. Difficile, quand on ne connaît pas Calais, d'estimer dans quelle mesure la présentation de la situation par Lioret est caricaturale ou non, mais ce qui nous est présenté ici est très inquiétant sur la situation de la France (c'était sous Sarkozy, on peut sans doute espérer un peu plus d'humanité de la part du nouveau président). Le film semble à la limite de la caricature mais la présentation des personnages évite un peu le piège du manichéisme : les clandestins ne sont pas tous sympas et certains sont même durs et violents ; le personnage joué par Vincent Lindon est complexe, ses motivations variables, ce n'est pas un militant ou un héros.

Mais au-delà de ces questions qui sont au cœur du film, Welcome relate aussi la naissance d'une amitié et surtout une histoire d'amour, et même deux histoires d'amour. Celle d'un jeune prêt à aller retrouver sa jeune amie en Angleterre, au risque de la mort, et celle du personnage incarné par Lindon prêt à mettre en péril son boulot et à risquer la prison pour retrouver l'amour de son ex dont il vient juste de divorcer. Deux amours impossibles qui ne peuvent que tourner à l'échec.

Bref, un film dramatique et touchant où ne sont pas exclus quelques passages amusants, comme la scène où de nombreux clandestins affluent à la piscine dans l'espoir de pouvoir prendre une douche (même en payant). Un film accompagné par une musique au piano discrète mais un peu triste, annonçant l'inéluctable fin, servi par de belles images, notamment de la zone industrialo-portuaire, avec le ballet des camions et bateaux, et par une distribution satisfaisante à l'exception d'Audrey Dana que j'ai trouvé un ton en dessous, avec une mention spéciale pour Vincent Lindon et le jeune Firat Ayverdi qui jouent de façon particulièrement juste.

Certains trouveront quelques défauts à ce film, qu'il est excessif voire caricatural dans sa présentation du contexte calaisien, qu'il dérive un peu vers le sentimentalisme, qu'il décrit une situation peu crédible, celle d'un jeune kurde prêt à traverser la Manche à la nage uniquement par amour. C'est peut-être vrai, ces remarques ne sont peut-être pas complètement injustifiées, mais cela n'enlève rien à l'importance des questions posées par le réalisateur et à l'humanité qui traverse ce film particulièrement touchant.
socrate
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le 10 mai 2012

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socrate

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