Alan Wake
7.4
Alan Wake

Jeu de Remedy Entertainment et Xbox Game Studios (2010Xbox 360)

Tout le monde a glausé sur le fait que le développement d'Alan Wake a duré cinq ans, pas la peine d'y revenir. Ce qui est plus intéressant en revanche, c'est que pendant que ce même tout le monde se faisait gentiment berner par le service com' de Sony et sautait comme un seul homme dans le wagon du hype Heavy Rain - mais si c'est révolutionnaire, puisqu'on vous le dit - et qu'on n'en finissait plus de pérorer sur la suite de QTE prétentieuse de Mr Cage, on passait à côté d'une réelle tentative - réussie ou pas, le débat est évidemment ouvert - de narration vidéo-ludique.

Car Alan Wake est bien un projet hybride entre thriller et jeu vidéo (ça c'est ce que nous vend l'éditeur), et sans parler de révolution parce qu'on en est loin, et que ça n'est pas le premier jeu à tenter une telle fusion (les Max Payne, par exemple), le projet est intéressant à plus d'un titre. Au lieu de de nous infliger un pseudo film interactif dans lequel il s'agit d'appuyer sur un bouton une fois de temps en temps, signe que certains n'ont décidément rien compris du média qu'ils prétendent transformer, Remedy tente une approche assez intéressante et oserais-je-même dire culottée. Ca n'est pas tant le morcèlement en épisodes façon série télé, cliffhanger à la clé, ça ne sont pas tant les longues phases de dialogues, les nombreuses voix-off, les pages du manuscrit qui étoffent assez diaboliquement les événements passés ou à venir, l'apparition très cinégénique des ennemis, les cinématiques fort nombreuses qui s'enchaînent sans temps mort... en fait c'est tout ça à la fois.

Le studio semble avoir réellement compris comment écrire et assumer un scénario de jeu, et comment le rendre à la fois jouable, intéressant et captivant (je n'ai pas eu envie de zapper les cinématiques, une première), et même parfois assez surprenant de maturité. Pas de héros aux poses iconiques, de mise en abîme du genre (ou très peu, à la toute fin), de flatterie de l'égo du joueur au moyen de projections physiques ou offensives surdimensionnées, ni d'enjeux pré-pubères. Alan Wake est un vrai suspense d'épouvante, certes pas forcément d'une originalité folle ni d'une qualité d'écriture constante, mais ô combien rafraîchissant dans le genre. Sans surprises, les références abondent, de King à Poe en passant par Lovecraft, mais c'est décidément Twin Peaks et plus généralement le cinéma de David Lynch qui ont traumatisé à jamais Sam Lake et ses sbires, comme le montrent les multiples références plus ou moins cachées à la série, ou certaines séquences du jeu, que n'aurait pas renié l'auteur de Blue Velvet. D'ailleurs, achever l'épisode 1 par le In Dreams de Roy Orbison est à la fois un joli hommage à ce film qui utilisa ce morceau de fort belle manière, et un trait ironique fort bien vu compte tenu de l'intrigue générale.

Revers de la médaille, le jeu est extrêmement linéaire (pas grave), dirigiste, très scripté (plus chiant pour y rejouer), et ce que les développeurs ont porté d'attention au scénario, à la façon de l'imbriquer dans les phases de jeu, aux moyens de le mettre en valeur et de le structurer en un gameplay à peu près potable, ils l'ont sans doute un peu moins consacré au reste. Le système de combat est sympathique mais vite répétitif, le jeu est assez creux, et ça n'est pas les pseudos courses aux pages de manuscrits et aux thermos planquées, qui pour le coup font vraiment "jeu vidéo" au sens le moins noble du terme, qui épaissiront un peu une crème assez légère. Tant mieux, diront les gens au régime, dommage diront les autres, qui se satisferont peu de mécaniques usées, de puzzles déjà vus, de gunfights prenants et stressants mais vite rébarbatifs. Le travail sur l'ambiance, phénoménale, rattrape tout, même si là aussi au bout de son cinquantième assaut venteux des forces des ténèbres, la trouille se dissipe un peu. Ajoutons à ça deux épisodes finaux qui traînent un peu la patte, des phases en voiture sans aucun intérêt, et on comprendra qu'Alan Wake épate presque autant qu'il déçoit.

Reste qu'une fois le jeu terminé (fort joliment) et le générique de fin arrivé, l'impression est durable, la sensation assez inédite dans le genre. Le sentiment d'avoir partagé un bout de vie avec des personnages, de m'être totalement immergé dans une véritable histoire. Ce qui n'est, en ce qui me concerne, et pour avoir bouffé du jeu par trains entiers depuis des années, vraiment pas courant. Et rien que pour ça, je ne regrette pas une seule seconde d'avoir vécu cette aventure.
Prodigy
8
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le 18 mai 2010

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Prodigy

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