Il est de ces jeux vidéos qui reviennent fréquemment dans le quotidien d'un gamer sans même qu'il y ai joué. Ces titres qui ont apportés une pierre conséquente à l'identité de ce média, cités régulièrement en influences des productions actuelles et qui sont si souvent exploités dans les débats et réflexions sur le jeu vidéo que tout joueur reconnaît instinctivement leur importance sans même les avoir un jour essayés. Mais connaître la réputation d'un chef d’œuvre sacralisé est une chose, le découvrir soit même en est une autre. L'expérience tardive d'un jeu ayant suscité tant de louanges laisse toujours espérer que la magie opère encore en dépit de l'épreuve du temps. C'est parfois le cas et d'autres fois hélas le poids des années est le plus fort comme en témoigne cet Another World.

Il n'est pourtant pas dans mon intention de remettre en cause l'importance de ce titre dans la construction identitaire du jeu vidéo. L'expérience d'Another World préfigurait en effet d'une philosophie aujourd'hui beaucoup plus répandue, celle du rejet d'une narration traditionnelle au profit d'une émotion plus viscérale véhiculée par le game design. Pas de textes ou de dialogues explicites, ici l'aventure se vit par les mouvements et la gestuelle du personnage, une immersion également encouragée par le manque de détails des graphismes, leur pouvoir de suggestion encourageant le joueur à combler avec sa propre sensibilité les éléments que le jeu ne clarifie pas. Enfin la force d'Another World tenait dans un concept encore plus largement assimilé par la production actuelle, celle de l'entraide avec un autre personnage, délaissant la gloire solitaire du joueur au profit d'une empathie envers l'être qui nous aide à accomplir les objectifs. Ces différents éléments font qu'Another World demeure un intéressant objet d'étude pour tout joueur intrigué par l'évolution de son média favori et les titres qui ont marqués son histoire.

Mais malheureusement la portée émotionnelle du jeu, elle, est aujourd'hui bien malmenée car si tout joueur peut outrepasser des graphismes datés, des mécaniques de jeu obsolètes sont elles bien plus compliquées à digérer. Mon problème avec Another World est le suivant : jamais le dirigisme d'un jeu ne m'a autant frustré que dans ce titre. La dernière génération de consoles n'a pourtant pas été avare d'exemples en la matière mais ni Final Fantasy XIII, Uncharted, Call Of Duty ou même Beyond Two Souls n'ont à ce point véhiculés un agacement devant la linéarité imposée par leur expérience interactive. La moitié de l'expérience, pourtant déjà courte, d'Another World consiste à être bloqué non pas à cause d'un manque de réflexion ou d'un challenge important mais parce que le joueur doit impérativement suivre le fil conducteur prévu par les créateurs sous peine d'errer inutilement dans les niveaux en quête d'une autre alternative qui n'existe de toute façon pas. Une linéarité absolument sidérante qui confère certes une certaine saveur à des passages inspirés comme l'instant "Clint Eastwood" mais rend l'expérience terriblement frustrante à la longue.

Une linéarité dans la progression qui est malheureusement cohérente avec l'exploration elle même minimaliste du jeu. Alors que le périple débute sur un magnifique paysage de terre sauvage à faire fantasmer tous les fans de science fiction, le jeu s'évertue à déconnecter le joueur de ce paysage qui ne demande qu'à être exploré pour le cloisonner dans des niveaux oppressants tels une grotte ou des souterrains comme si le manque de liberté interactive du joueur se traduisait directement dans le périple du héros incapable de découvrir l'autre monde qu'il a atteint. Enfin dernière lacune et pas des moindres : le système de combat. Si le trio rayon laser/bouclier/ super rayon est amusant à utiliser au début, il est exploité tellement outrancièrement qu'il en devient lui même rébarbatif à la longue.

Bref les années ont passées et si les ambitions créatives d'Another World sont toujours explicites et louables pour son époque, elles ont depuis été tellement mieux assimilées par d'autres productions qu'il devient difficile de lui pardonner son dirigisme implacable. Un intéressant objet d'étude donc mais pour ma part malheureusement plus le grand jeu vidéo qu'il était en son temps.

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le 29 juil. 2014

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Leon9000

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