Bayonetta
7.3
Bayonetta

Jeu de Platinum Games, Hideki Kamiya et Sega (2009Xbox 360)

Génie reconnu mais maudit depuis plusieurs années, créateur de jeux prodigieux mais boudés (Okami...), papa d’un demi-démon vite parvenu au panthéon des icônes vidéoludiques mais dont l’ombre a peut-être voilé les productions suivantes, Hideki Kamiya (et les équipes de Platinum Games) sort aujourd’hui de l’Enfer de Dante et entend bien propulser sa nouvelle égérie au Paradis. Alors, orgie ludique ou tir à blanc ?

« Soit le cadreur mesure 1m10, soit il aime son c… »

Bayonetta est une sorcière à la sensualité assumée. Corps parfait plongé dans un fuseau moulant façonné par sa propre chevelure, petites lunettes sexy, déhanché improbable et goût prononcé pour les sucettes (qui dans le jeu font office de potions de soin, de magie, etc.) confèrent à la belle un charisme érotisé. Elle en séduira beaucoup et agacera ceux et celles qui prendront la chose au premier degré… Ce qui serait une grossière erreur.

Comme le physique ne fait pas tout dans la vie, Madame a également une langue bien pendue et s’en sert comme du reste de son corps : à merveille. Petites phrases assassines, doubles sens coquins, lapsus assumés, tout ceci n’est pas toujours du meilleur goût mais souvent réjouissant.

Lorsque l’on découvre Bayonetta, on réalise vite que le jeu a été créé autour et à la gloire de sa fantasque héroïne, dont l’écrasante personnalité rend bien fades les autres protagonistes de l’aventure, pourtant gentiment perchés eux aussi. De l’indic’ maladroit au journaliste revanchard naïvement héroïque, en passant par un clone de Blade versé dans les arts occultes et marchand à ses heures perdues, la galerie de portraits est singulière.

« J’ai pris ton scénario pour refaire la boîte du chat poussin, ça ne te dérange pas ? »

L’histoire, profondément stupide (ou exagérément nébuleuse si vous faites preuve de mansuétude), n’est qu’un dispensable prétexte. Réveillée après un profond sommeil lacustre de 500 ans, amnésique, Bayonetta part en quête de réponses sur son passé et plonge au cœur d’une lutte séculaire entre forces de la lumière et des ténèbres... Splendide.

La fin de l’aventure réserve son lot de petites surprises, mais le scénario, comprenons-nous, est bien davantage une roue libre assumée qu’une constante source d’émerveillement (quand bien même on se mettrait en quête des divers documents et notes qui éclaircissent quelques zones d’ombres).

La plupart des (nombreuses) cinématiques sont donc autant d’occasions gratuites d’entrainer le joueur dans d’hallucinantes chorégraphies martiales, à la mise en scène épileptique et survoltée, où ennemis, voire amis, prennent très très cher.

Passées ces impressionnantes démonstrations, rien ne serait pire que de prendre en main une héroïne aux capacités limitées, dotée d’un simple double saut et de quelques coups spéciaux. Bayonetta évite heureusement admirablement l’écueil et fait dès l’ouverture du jeu éclater sa rage, sa classe et sa nervosité à l’aune d’un système de combat d’une richesse et d’une flexibilité stupéfiantes. La synthèse parfaite de ce que Ninja Gaiden et Devil May Cry proposent de mieux, petites nouveautés en plus, et donc une nouvelle référence dans le genre.

« C’est quoi ce qu’elle a aux pieds ?…(explosion atomique)…ah d’accord »

Les bases sont pourtant bien simples : deux boutons pour les frappes poings/pieds, un troisième pour le petit tir à distance, et une esquive attribuée à la gâchette droite. Bien placée, c'est-à-dire juste avant qu’une frappe ennemie ne vous atteigne, cette esquive enclenche le « witch time » (ou envoûtement), un ralenti classieux qui affecte tous les adversaires l’espace de quelques secondes et vous permet de déchainer votre fureur au corps à corps en plaçant de destructeurs combos sans crainte de représailles. La liste desdits combos est incroyablement vaste (on les révise d’ailleurs pendant les loading). L’alternance poings/pieds et le timing des frappes - on peut marquer un temps de latence entre deux coups, ou concentrer une frappe en maintenant une touche - sont évidemment pris en compte. Votre position dans l’espace (au sol, en l’air, au début ou en fin de saut) et par rapport à l’adversaire jouent aussi. Souple et intuitif, le système autorise vite toutes les fantaisies : démarrer un combo, esquiver une frappe qui vous arrive dans le dos pour déclencher le « witch time », poursuivre l’enchainement sans temps mort sur un deuxième ennemi, en expédier un troisième en l’air pour le récupérer au vol et l'expédier de droite à gauche pour blesser les malotrus qui vous entourent, tout, absolument tout est possible.

En progressant dans l’aventure, la belle sera par ailleurs amenée à récupérer ou à acheter nombre de nouvelles armes démoniaques : sabre, fouet, griffes, lance-roquettes viendront ainsi progressivement remplacer ou compléter votre arsenal de base, ouvrant à chaque fois de nouvelles possibilités d’enchainements. Comme dans Devil May Cry 3, il sera en plus possible d’équiper deux combinaisons poings/pieds différentes, et d’en changer à la volée en plein affrontement.

Ça ne vous suffit pas ? Alors sachez que le fait d’enchainer les combos sans prendre de dégâts fera croître une jauge de magie. Une fois pleine, vous aurez la possibilité d’exécuter un ennemi en le soumettant aux pires outrages : invocation d’une guillotine ou d’une vierge de fer, écartèlement, écrasement, les réjouissances sont variées, dépendent du type d’adversaire et solliciteront votre hargne pour mitrailler les boutons pendant la torture et infliger ainsi un maximum de dégâts.

Les boss et mini-boss auront droit au meilleur traitement sous forme d’invocations surpuissantes, calquées sur les exécutions mais mettant à l’œuvre dragon, phénix ou dieu déchu. Notre sadique sorcière les effectuant avec les cheveux qui lui servent de costume, le joueur aura le plaisir de broyer les os des pires colosses avec une héroïne dans le plus simple appareil… Ambiance.

On l’aura compris, ce système de combat donne lieu, avec un peu de pratique, à d’exceptionnels ballets où l’on se déchaine avant de temporiser quelques secondes avec le tir à distance, pour finalement replonger à la faveur d’une esquive bien sentie. Le plaisir que procurent ces joutes est immense, le sentiment de contrôle total, d’autant que les angles de caméras, habituel poil à gratter de ce genre de séquences, sont ici assez exemplaires, avec un minimum d’ennemis hors champ et un contrôle total de la focale, recentrage instantané (d’un simple clic sur R3) compris. Filiation avec Devil May Cry oblige, on n’échappera évidemment pas au compteur de combos, qui flattera l’ego des pros mais fonctionne ici de façon très tolérante. Se faire toucher ne fait pas retomber la jauge, il faudra juste maintenir un minimum de pression sur les ennemis et ne pas rester trop longtemps sans rien tenter.

« Je me suis fait poutrer par un poulet avec une auréole… »

Quel que soit le potentiel de nuisance de notre sorcière, n’allez néanmoins pas croire que l’aventure sera une partie de plaisir. Bayonetta n’est pas un jeu facile, loin de là, même en « normal ». Deux modes de difficulté initialement bloqués, dont un qui interdit l’utilisation du « witch time », sauront par ailleurs calmer les ardeurs des prétentieux qui auront traversé l’aventure trop facilement à leur goût. Si les premiers ennemis sont d’aimables sacs de frappe aux coups lents et faciles à lire, vous serez vite amenés à croiser de véritables teignes, vives et imprévisibles, contre lesquelles de bons réflexes et la maitrise de l’envoûtement seront indispensables pour espérer vaincre. Il est à ce titre amusant de constater que les boss, aussi spectaculaires et dantesques qu’il soient, vous poseront probablement moins de problèmes que certaines batailles « classiques » bien tendues, surtout si vous cherchez à obtenir le platine pur (la meilleure notation).

Qu’on se rassure cependant, le jeu multiplie les checkpoints, en général avant et après chaque affrontement, parfois même au milieu d’un combat de boss. Perdre n’est jamais synonyme de retour au début du chapitre, et la relative abondance d’ingrédients à mixer pour forger des bonus de soins (en détruisant les éléments du décor) rend l’expérience intense, mais beaucoup moins frustrante qu’un Ninja Gaiden par exemple. L’argent récupéré en terrassant vos ennemis vous permettra en plus d’acquérir, à vils prix, des accessoires conférant divers bonus (Witch time enclenché à la moindre touchette subie, possibilité de parer les coups ennemis et de contrer...).

Bayonetta est donc un jeu riche, relativement long (12 heures en premier run environ, beaucoup plus si on veut le finir dans toutes les difficultés et tout ramasser) et pas avare de petits secrets : personnages jouables cachés, armes et accessoires bonus disponibles sous conditions chez le marchand, nouvelles skins, etc.

Ma 360 mange ta PS3

Testé sur 360, il est aussi un jeu qui rassurera beaucoup de monde sur la propension des Japonais à livrer des titres techniquement aboutis. Bayonetta est beau, souvent sublime même, avec ses décors fins, ses ennemis nombreux et bien animés, ses boss titanesques, ses séquences d’anthologie parfaitement maitrisées, ses effets de lumière superbes. C’est aussi et surtout une héroïne aux innombrables mouvements admirablement décomposés, aux transitions parfaites, d’une fluidité sans égal.

Le frame-rate est dans l'ensemble parfaitement stable. On note juste un peu de « tearing » et quelques rarissimes ralentissements, mais ceci ne doit pas faire oublier l’essentiel : il s'agit d’un titre d’exception.

La bande son, pour sa part, risque de ne pas mettre tout le monde d’accord. Plus que sa qualité intrinsèque, c’est surtout le choix d’une J-pop acidulée pour rythmer les combats, sur l’air de « Fly me to the moon », qui divisera. Une concession de plus au troisième degré dont il est décidément impossible de se départir pour apprécier Bayonetta à sa juste valeur.

Au-delà de ses aspects techniques et de ses partis-pris artistiques, c’est surtout la structure même du titre qui pourra gêner. L’ombre de Devil May Cry plane en effet constamment sur le jeu, pas toujours en bien malheureusement. L’alternance répétitive de phases de progression et de combats en arènes fermées est ainsi reprise ici à l’identique, de façon peut-être même encore plus exacerbée compte-tenu de l’extrême linéarité des niveaux. Oubliez les petites énigmes ou les petits détours du titre de Capcom : vous êtes dans les 36 Chambres de Shaolin, avec un long couloir (piégé) entre chaque rixe. Les petits ajouts sympathiques comme la marche sur les murs à la pleine lune ou les transformations animales n’y changeront rien : un corridor reste un corridor. Point. Seule la recherche des versets cachés et des missions secrètes (nommées Alfheim, encore un héritage direct du Petit Dante Illustré) casse occasionnellement cette fuite en avant. Et encore, il s’agit souvent d’opérer un simple demi-tour et de revenir en arrière pour miraculeusement tomber dessus. Bref, un level-design plus inspiré ne gâcherait rien dans la perspective d’une suite.

Dans le même ordre d’idées, le recours heureusement très occasionnel à quelques QTE impitoyables (tu rates, tu meurs) ne s’imposait vraiment pas. Ceux qui agrémentent les combats de boss sont bien intégrés, mais les autres ne génèrent qu’une inutile frustration, surtout lorsqu’ils ponctuent un chapitre bien négocié mais plombé d’une mort débile qui pourrit la note finale. Agaçant.

On pourra enfin signaler quelques séquences moins trépidantes, notamment un (long) passage à moto sur l’autoroute, creux et bourrin au possible (un hommage à Super Hang-on semblerait-il). C’était déjà le cas dans Madworld, mais Bayonetta confirme que les phases en véhicules ne sont pas le fort des petits gars de Platinum. Du moins pas pour l’instant…

Ces petites scories n’altèrent guère l’immense plaisir que tout amateur de beat’em all prendra à parcourir le monde de Bayonetta. Son intensité et la profondeur de son système de combat, couplées à une technique impressionnante, feront le bonheur de tous ceux qui auront l’ouverture d’esprit suffisante pour voir au-delà de choix artistiques singuliers et d’un jusque-boutisme assumé. On s’ennuie de toute façon si vite avec les femmes faciles….
lastbuzz
9
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le 17 août 2013

Critique lue 359 fois

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