Après Flow et Flower, Journey est la plus belle réussite du studio de Jenova Chen, Thatgamecompany. Il possède une fluidité dans son déroulement que n’avait pas Flower, suite de tableaux sur la Nature qui illustraient une forme de dépression, de dégoût et de tristesse des villes modernes, sur fond de musique zen très Georges Winstonienne. Journey est pareillement découpé en niveaux ou en zones, mais sans temps mort ou repos possible. Le « but » est d’avancer vers un lieu (une montagne au loin) qu’on sait important mais dont on ignore tout. Chen reste fidèle à ses principes : narration fluide mais minimaliste, sans dialogues explicatifs, gameplay minimal et accessible, univers qui immerge le joueur par son étrangeté.

Visuellement, Journey est tout simplement l’un des JV les plus marquants de ces dernières années et sans conteste le plus beau de cette gen. Le rendu du sable donnera des sueurs froides aux devs de Naughty Dog et les animations du personnage ont la grâce d’une ballerine. Contraste saisissant de son avatar, habillé d’une sorte de burqa, marchant voltigeant avec légèreté dans un désert de sable rugueux et profond. Certains passages émerveillent complètement et resteront longtemps gravés dans ma mémoire de joueur.

Journey se joue de manière très classique. Chen a conservé le motion gaming de Flower, via la siaxsix, mais seulement pour la caméra, qu’on peut aussi bouger grâce au stick droit (bien plus pratique). Les contrôles sont simples : on avance avec le stick gauche, on saute/vole avec la croix et le rond permet d’émettre un son et de concentrer son énergie. Aucune autre indication à l’écran, le jeu épure au maximum son interface pour laisser intacte toute sa beauté visuelle.

La force de Journey c’est d’être tout autant, et en même temps, un jeu solo et un jeu multi. On est seul dans l’immensité du désert, parmi les ruines qui décorent (un peu) le tableau, mais cette solitude en croisera bientôt d’autres (une solitude à la fois par contre) tout au long du périple.
On peut choisir d’ignorer cet autre (la communication par le son et le corps - de son avatar - étant réduites au minimum) ou bien faire un bout du chemin ensemble. Le génie de Journey réside dans la présence de cet autre, jamais envahissant, et qui n’empêche pas la contemplation ou la découverte par soi-même de l’univers.
L’autre n’est pas vital dans Journey mais on se pose tant de questions sur son avatar (qui ? où ? Quoi ?) qu’on cherchera forcément chez ce semblable des réponses. Là où le JV multi fait de l’autre un ressort d’affrontement ou de coopération, Journey choisit une autre voie, plus risquée (certains voyages seront décevants, selon qui voyage avec nous) qui fait de l’autre un égal mais sans nécessité particulière. On tissera donc une amitié virtuelle selon son envie ou bien les manifestations pressantes de son compagnon (s’il vous colle, émet des sons, vous attend…)
Journey proposera alors l’expérience du maître et de l’élève, du guide et du suiveur ; rôles qui s’inverseront selon les compagnons de voyage rencontrés et selon leur expérience du jeu.

On peut reprocher à Journey d’être court (entre 2 et 3h) mais il est préférable de le vivre d’une traite avec un ou plusieurs compagnons, sans cassure. On fera alors plusieurs voyages (pas mal de petits secrets sont à découvrir) seul ou à deux, se perdant et se retrouvant.
Journey procure de la joie, celle de rencontrer un inconnu semblable à soi, et de la peur, celle de le perdre ou d’en être séparé.
Ce n’est pas un jeu uniquement contemplatif. Il possède des séquences fortes, qui procurent de vraies émotions de joueur, même sans score, sans but ni difficulté.

On peut reprocher à Jenova Chen de persister dans sa voie du gameplay minimal alors qu’on aurait pu imaginer (espérer ?) des mécaniques de coopération un peu plus poussées (elles existent néanmoins), à la manière d’un ICO mais on comprend que l’idée du voyage et du mystère pour Chen passe par la fluidité et la légèreté, sans nécessité de l’autre. Trop de coopération aurait peut-être tué la magie…

Journey est une invitation, une proposition lancée aux voyageurs virtuels qui pensent davantage au chemin qu’à l’arrivée. Il illustre, en expérience, les mots de Baudelaire dans sa célèbre Invitation au Voyage : « …Tout y parlerait / A l’âme en secret / Sa douce langue natale. »
TheGreatGatsby
8
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le 12 sept. 2012

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