L.A. Noire
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L.A. Noire

Jeu de Team Bondi, Virtuos et Rockstar Games (2011Xbox 360)

Perdu dans mon whisky, je n'entendais même plus la poule qui égosillait son jazz minable sur la scène minable de ce club minable sur la 8e.
Quelque chose clochait, et salement.
Ça faisait quelque temps que ça me turlupinait. Tout était trop facile.

J'avais commencé à avoir des doutes alors que j'enquêtais sur l'affaire Lester Pattison. Un poivrot qui à première vue s'était jeté directement sous une tire en sortant d'un rade. Sauf qu'après analyses, le légiste nous avait annoncé que ce qui l'avait refroidi, c'était deux coups de surin. Trois-quatre interrogatoires plus tard, je compris que Leroy Sabo, le propriétaire du Ray's Café, fricotait avec la bourgeoise de la victime.
De retour sur les lieux, je n'eus pas besoin de plus de deux minutes pour retrouver l'arme: elle était là, à côté des poubelles, même pas fardée. Sabo avait eu une douzaine d'heures pour manœuvrer et l'idée de m'embrouiller ne lui était apparemment pas venue à l'esprit. Damn! Qu'est-ce qui lui était passé par la tête pour me faciliter la tâche à ce point?
Mais bon. Le patron avait été content et m'avait promis que je passerais rapidement à la crim si je continuais comme ça. Je laissai donc filer et j'arrêtai d'y penser.

Puis arriva le dossier Bishop. Une histoire sordide: un vieux producteur libidineux qui avait profité de la naïveté d'une gamine de la campagne rêvant d'Hollywood pour la violer et tenter de la balancer du haut d'une colline. Encore une fois, l'enquête ne traîna pas. On avait eu un tuyau selon lequel Bishop s'était planqué dans les décors de son dernier délire mégalomaniaque, The Jungle Drums. Ce qu'on ne savait pas, mon coéquipier et moi, c'était qu'il avait déjà un contrat sur la carafe. Une fois appréhendé, il fallut le sortir de ce guêpier en dézinguant une quinzaine de gros bras lourdement armés. Lil basterds!
Pourtant, tout se déroula une fois de plus sans anicroche. La visée automatique, j'ai ça dans le sang, d'accord, mais là... Un pruneau à gauche, deux autres à droite, et on était déjà tirés d'embarras. Ces enfants de salauds n'étaient pas des mauviettes, et ils s'étaient laissés descendre comme des débutants. Weird... Dans la foulée, ma promotion tomba, et je changeai de crémerie.

Au début, je ne crachai pas dans la soupe. C'était plutôt bonnard d'avoir été muté aux homicides, je me disais que j'allais enfin être confronté à du sérieux. Mais rapidement, la routine s'installa. Les meurtres suivaient d'autres meurtres, et les corps d'autres corps. Moi, inspecter un cadavre au petit déj, ça me gênait pas. C'est pas compliqué comme besogne, faut pas croire. On soulève un bras, on l'agite un peu pour faire bonne figure. On passe à l'autre, même procédure, et on termine par la tête, gauche droite, haut bas, au suivant.

Parfois, il fallait faire des examens plus poussés à la morgue. Un jour, sur un meurtre avec strangulation, Carruthers, le légiste, prépara trois échantillons de corde pour que je puisse effectuer une comparaison avec les traces laissées sur la victime. Un seul était tressé, alors qu'il était évident que c'était l'unique genre d'attache qui correspondait. Je ne pouvais m'empêcher de penser: "Pourquoi m'a-t-il fait venir? Il n'avait pas besoin de moi pour ça, un gosse de 8 ans saurait lequel choisir..." Mais je ne regimbai pas, je livrai mes conclusions avec mon air le plus sérieux, et j'essayai de ne pas montrer que j'avais conscience d'être pris pour une cloche.

Et puis il y avait les interrogatoires. Dans le jargon, on appelait ça les YXA. Y, tu mens, X, je doute de ta version, A, tu dis la vérité. No more, no less, pas de fioriture. Mais au fil des entretiens, une vague d'insatisfaction m'envahissait peu à peu. Des points que je voulais soulever, sur des preuves que j'avais accumulées, restaient inexplicablement à l'arrière-plan. Je savais quels sujets je voulais aborder, mais j'en étais incapable. Comme si quelque chose, ou quelqu'un, m'en empêchait. J'en tournais maboul.

Après quelque temps, je me rendis compte que ce n'était pas tout. J'étais forcément surveillé. On m'aidait. Mais dans quel but? Ce fut l'affaire Galloway qui me mit la puce à l'oreille. Une môme qu'on avait retrouvée morte sur les hauteurs, nue, la tête en sang, les bijoux arrachés et des inscriptions sans queue ni tête sur le corps. Le mari de la fille en savait plus qu'il ne voulait bien le dire, c'était évident. Mais alors qu'on venait de le coffrer, un coup de bigot au central nous mit sur la piste d'un amant potentiel, Alonzo Mendez.
C'est là que je commis une erreur. Sous la pression du boss, je rentrai au poste cuisiner le cocu, plutôt qu'aller cueillir le métèque. L'interrogatoire se passa mal: je ne parvenais pas à penser à autre chose qu'à la raclure à qui je laissais tout le temps de prendre la tangente. Sauf qu'une heure plus tard, lorsque je débarquai finalement chez lui, il était toujours là, comme sur un plateau, avec en plus un joli cadeau dans sa piaule: l'arme du crime et le tube de rouge à lèvres utilisé sur la victime, posés bien en vue. Comment était-ce possible? J'avais accumulé les faux pas et malgré tout je m'en tirais encore avec les honneurs...
Plus tard, je me rendrais compte que Mendez n'était pas si coupable que j'avais bien voulu le croire. Mais tout de même... Tout semblait me réussir, rien n'était jamais compliqué. Les indices me tombaient tout cuits dans le bec. Si je prenais une mauvaise direction, on me fournissait immédiatement une preuve qui me ramenait dans le droit chemin. Certaines personnes se souvenaient de la plaque d'immatriculation d'un suspect croisé plusieurs heures plus tôt, ou des gars sortaient spontanément de leur poche une pièce qui les mettait dans la mouise...

Et ce n'était pas le plus étrange. Des choses bien plus bizarres encore m'arrivaient.
Deux épisodes restent particulièrement obscurs.

La première fois, ce fut une banale sortie de route. J'étais au volant d'une Ford Tudor 47 que j'avais réquisitionnée (être au LAPD a ses avantages). Bekowsky, avec qui je faisais équipe à l'époque, était en train de bavasser sur l'affaire en cours. Le cerveau légèrement embué, je ratai un virage et projetai la caisse droit sur la rambarde, pour un long plongeon. Cinquante yards plus bas, pas de tonneau, pas de hurlement, pas d'explosion. La guimbarde était retombée sur ses roues, perdant simplement ses portières au passage, et nous continuâmes notre route. Et vous voulez savoir une chose? Pendant tout le temps que dura la chute, jamais Bekowsky ne cessa de jacasser. Mais le plus incroyable restait à venir: quand quelques instants plus tard nous sortîmes de voiture, il nous suffit de tourner le dos une seconde, une seule seconde, pour que la bagnole soit de nouveau comme neuve, ses battants en place, et sans une moucheture.

Le second événement peut sembler anecdotique. Moi, il me fait encore froid dans le dos. On sortait de chez un témoin, entretien de routine. Dehors, deux sbires de McAfee nous attendaient. L'affaire dégénéra, et ils se mirent à nous canarder. Le premier fut descendu rapidement par mon partenaire. L'autre gars par contre... Il était à 10 mètres, à découvert, impossible à rater. Trois, quatre, cinq bastos dans le buffet. Toujours debout. Je vidai mon chargeur. Rien. Au bout d'un moment, je compris que quelque chose ne tournait pas rond. Il restait droit comme un i, sans bouger, et il semblait clignoter. Ne mettez pas ça sur le compte de la bibine, il n'y a pas d'autre mot: il clignotait. J'allai droit sur lui, pas un mouvement. Quand soudain, en une fraction de seconde, le voilà à terre, sans qu'une chute n'ait été visible. Good Lord! Mais que se passait-il donc dans cette ville?

Non, tout cela ne tenait pas debout.
Au comptoir de ce bar sur la 8e, j'avais beau ressasser les faits, je ne voyais qu'une seule conclusion logique. Tout m'amenait toujours dans la même direction. Rockstar. Une firme de la Côte Est à laquelle j'avais déjà eu affaire, dans d'autres vies. Notamment quand je jouais les petites frappes à Liberty City, avant de rentrer dans le droit chemin. Ou à mon époque cowboy, dans un Far-West sur le déclin. Mais jamais encore ils ne m'avaient déçu. Sauf que cette fois, ils avaient commis une erreur: ils s'étaient adjoints les services du Team Bondy, une bande d'affreux jojos australiens.
Une seule explication possible: les bouffeurs de kangourou avaient refourgué une coquille vide aux New-Yorkais. Un joli écrin bourré jusqu'à la gueule de la dernière des camelotes.

Les fumiers! Ils allaient devoir rendre des comptes...
Dès que j'aurais fini mon whisky. Dès que j'aurais quitté ce club minable, sa chanteuse minable et son jazz minable, ils me le payeraient.



Jérôme
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le 10 juin 2011

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