Lucius
5.6
Lucius

Jeu de Shiver Games et Lace Mamba Global (2012PC)

On a failli attendre, mais le voilà finalement notre simulateur de possédé. Lucius est là pour occuper le créneau encore désert du Hitman en culottes courtes, rejeton du démon dont le but n'est autre que de décimer un à un les membres de sa richissime famille et autres occupants d'un grand et beau manoir. Ce n'est ni plus, ni moins que l'adaptation officieuse du film « La Malédiction » (au choix, l'original de Richard Donner de 1976 ou le remake réalisé par John Moore en 2006 – bien moins honteux qu'on essaie de nous le faire croire, mais c'est un autre débat) réalisé à la sauce « tueur à gages ». Premières impressions : pour un jeu à 20$, ce n'est pas trop quelconque, ça a un petit cachet malgré la musique terriblement anonyme et les doublages (anglais) abominables. Graphiquement, cela tient la route, le jeu se paie même le luxe de démarrer par des cut-scenes assez stylisées qui posent leur ambiance, et cette qualité de mise en scène ne se démentira presque jamais pendant la partie, au moment de chaque mise à mort, quand on assiste à la récompense de nos viles actions par le décès souvent bien glauque de notre infortunée cible. En termes de mécaniques, on contrôle notre apprenti démon en vue à la troisième personne en déplacement libre ; on ramasse des objets pour éventuellement les combiner dans l'inventaire ou on utilise des pouvoirs (déverrouillés progressivement) permettant d'accomplir des actions spéciales. Le découpage s'effectue en « jours » (en pratique niveaux), chacun d'eux ayant sa cible associée qu'il faut tuer d'une manière donnée. Voilà l'un des problèmes du jeu : on n'a guère le choix des armes dans l'exécution de nos « contrats », qui doivent se dérouler selon un modus prédéterminé qu'il faut soi-même deviner. Au début, les développeurs laissent de bons gros indices bien évidents, du style : « Si quelqu'un me vole mon briquet, j'irai allumer une cigarette sur la cuisinière. J'espère que personne n'aura laissé le gaz ouvert ! » On exagère à peine, mais c'est l'idée. Les choses se corsent plus tard, inversant le problème : laissé face à une multitude de possibilités qu'on se prend à imaginer (surtout si on a déjà joué à un Hitman), on erre dans les couloirs du grand manoir à la recherche de LA solution prévue par les développeurs, qui n'est certes au fond pas plus bête qu'une autre, mais pourquoi diable n'aurait-on pas pu employer la nôtre ? C'est l'un des éternels écueils de Lucius qui, en jeu « budget » limite terriblement le joueur jusqu'à finir par ouvertement verser du côté du jeu d'aventure – de surcroît pas toujours des plus logiques.

L'une des grandes faiblesses du jeu réside dans la progression, complètement opaque la plupart du temps : à chaque niveau est allouée une cible pour une raison peu claire, qu'il faut d'abord trouver, puis attirer dans un piège dont on cherche, en l'absence d'indices passé le premier tiers du jeu, la méthode de mise en place. Beaucoup d'actions ne brillent pas forcément par leur logique, les objets à ramasser dans l'environnement sont souvent mal mis en avant (combien de temps avant de trouver le caillou ramassable ou la brosse à dents ?), le système de discrétion demandant d'agir hors du champ de vision des adultes ne fonctionne que très approximativement, une multitude d'idées de gameplay sont relativement obscures voire extrêmement mal exploitées (les crucifix, la jauge de pouvoir), enfin des à-côtés relativement ridicules et mal implémentés ont tendance à énerver voire à excéder quand le système de sauvegarde s'en mêle. Le jeu a par exemple l'idée singulière d'offrir une série de quêtes facultatives totalement dénuées d'intérêt (ranger sa chambre, sortir la poubelle) dont on ne comprend souvent ni comment les mener à bien, ni que faire de la récompense obtenue ; après avoir quitté la partie, on se surprendra en outre de voir que la progression dans les quêtes secondaires a été « oubliée » et qu'il faut les recommencer depuis la première tâche. Quand en plus les zones du manoir se déverrouillent progressivement sans raison apparente et qu'on tourne en rond en cherchant à terminer une quête secondaire sans savoir que c'est impossible à ce stade du jeu, on peut assez facilement devenir chèvre et rage-quitter le jeu (en perdant dans la foulée toute la progression de la mission : pas de sauvegarde manuelle). On peut continuer un moment sur les reproches. Le manoir, bien que grand et assez joli, semble échapper à une certaine logique architecturale : pas sûr que la porte s'ouvrant directement sur des marches d'escalier ait été validée sur le cadastre, vous savez, cette porte qu'il faut emprunter dix fois par niveau et qui doit, de loin, être la porte la plus utilisée par le joueur comme par les autres personnages, qui sépare les chambres et le living room, cette porte qui a elle seule a du causer plus de morts que les plans machiavéliques de Lucius. Pas sûr non plus que foutre l'entrée de la chambre froide en bas de ces escaliers soit l'idée la plus brillante du siècle. Toujours pas sûr, dans un autre domaine, qu'il soit forcément de bon goût pour une famille richissime d'employer un concierge parfaitement incompétent et ivre passant son temps à se rouler dans des flaques d'eau avec une bouteille de pinard – sans que personne n'y trouve à redire. Et s'il vous plaît : POURQUOI ce majordome au bar, qui reste planté là toute la journée à ne servir personne car à part le personnel et un ou deux parents nul ne semble habiter le manoir en qualité de propriétaire ? Il faut déjà tolérer un character design relativement laid – le gamin en souffre le plus – alors si c'est pour les voir dans des rôles qui ne leur conviennent pas, c'est assez fâcheux.

Parmi tous ces défauts, qu'est-ce qui finit par surnager ? On l'a dit : le visuel, correct, malgré certaines erreurs ; l'ambiance sympa qui rappelle effectivement « La Malédiction » et qui fonctionne en général plutôt pas mal malgré des musiques moches et quelconques. En général, c'est-à-dire lorsqu'on est pas en lutte avec la logique des énigmes, le doublage pourri d'un personnage ou simplement le journal de mission auquel on ne comprend parfois rien. Finalement c'est donc assez difficile de vraiment profiter du jeu, sauf si on le parcourt avec une solution ou qu'on attend un hypothétique patch qui viendra démêler un peu ce bazar. Ses meilleurs moments sont très brefs et sont à chercher dans l'accomplissement final du plan, qui se déroule toujours sous forme de cinématique classieuse, même si de nouveau il faut oublier, après, ces parents attardés qui vraiment, non, ne comprennent vraiment pas pourquoi tout le monde crève un par un dans leur beau manoir, qu'après trouze meurtres sous ses yeux la baby sitter demande ENCORE au gamin de fermer sa gueule et de ranger sa chambre, que le garagiste fume sa clope adossé au même mur bien au-dessus des terribles turpitudes étouffant ce bas monde et qu'enfin les collègues de la femme de ménage trucidée au début s'acquittent des devoirs de la défunte en sifflant la Marseillaise. Bon, allez : pour 20$, c'est marrant, à condition d'être tolérant et d'accepter un bon paquet d'approximations. Si vous voulez vraiment incarner un Damien virtuel en attendant le prochain Hitman, Lucius pourra vous satisfaire, même s'il vaudra mieux vous dégoter une solution complète et prendre en considération le système de sauvegarde capricieux. Pour les autres, ce jeu d'aventure vaguement logique ne mènera qu'aux cimes de la frustration et de l'ennui, laissant à rêver que Lucius ait bénéficié d'un budget un peu plus conséquent lui permettant d'assumer pleinement ses intentions. L'enfer est pavé de bonnes intentions, après tout.
boulingrin87
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le 31 oct. 2012

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Seb C.

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