Silent Hill
8.1
Silent Hill

Jeu de KCET, Keiichiro Toyama, Akira Yamaoka, Team Silent et Konami (1999PlayStation)

Silent Hill est un chef-d'œuvre du jeu vidéo. Mais surtout, plus important, Silent Hill est un cas d'école exemplaire sur ce qu'est un bon jeu. Ce n'est pas juste un bon jeu, c'est le bon jeu par excellence.


Pourquoi, me direz-vous ? Pourquoi j'affirme ça aussi péremptoirement pour Silent Hill en particulier et pas Age of Empires par exemple, ou Link's Awakening, ou même Shadow of the Colossus, qui reste le meilleur jeu auquel il m'ait été donné de jouer ? Pour répondre à cette question, il faut simplement regarder le jeu dans les yeux, et décortiquer ce qu'il veut nous offrir, et comment il compte l'offrir.


Premièrement, les intentions du jeu. Il est tout à fait clair, je pense que ça n'aura échappé à personne, sauf si vous êtes de grands malades, que l'émotion principale que le jeu veux nous faire ressentir n'est pas la joie mais bien la peur. Le jeu s'ouvre par deux phrases assénées qui donne l'ambiance : There are violent and disturbing images in this game, suivie de The fear of blood tends to create fear for the flesh. Suivent une musique inquiétante, une cinématique culte, et des frissons qui semblent d'emblée garantis.


Maintenant que les intentions sont claires, arrêtons nous un instant sur les « points négatifs ». Tout d'abord, la trame complètement nulle des sceaux de Samaël, à laquelle je n'ai rien compris parce qu'en fait il n'y a rien à comprendre, et dont tout joueur normalement constitué se contrefout. Sans parler de l'air complètement con de Harry qui réussit l'exploit de passer son temps à répéter benoîtement « What's going on ? » tout en ayant l'air de s'en foutre comme d'une guigne, mais qui en revanche ne s'étonne jamais que la flic réapparaisse toujours aux endroits clés de la ville et du scénario, sans une égratignure.


D'autre part, les graphismes… comment dire ? C'est de la PS1 quoi. S'il y a vraiment quelqu'un qui a trouvé dérangeantes ces espèces de masses rouges et marrons qui sont censés être des cadavres ouverts ou je ne sais pas quoi, qu'il avance et s'exprime clairement ou se taise à jamais. Personne ? C'est bien ce que je pensais.


Malgré ça, même 15 ans après, le jeu reste l'un des plus flippants jamais créés. Si ce n'est pas le scénario, les dialogues ou les personnages, si ce n'est pas les graphismes, alors quoi ? Qu'est-ce qui fait que ça marche aussi bien ?


Vous m'avez vu venir, pas vrai ? C'est là que je vous parle du gameplay. Oui, car le gameplay et le game desing de ce jeu tiens du génie. Tout d'abord l'idée de la radio qui grésille à l'approche des monstres, qui au départ semble bien utile pour faire baisser le niveau de stress et déçoit dans sa gestion du suspense, est essentielle. Elle permet d'une part d'éviter, à deux ou trois exceptions – scriptées – près, le piège de la « peur-sursaut » (comment traduire jump-scare complètement maladroitement), et laisse place à une peur larvée, sourde, nettement plus efficace. D'autre part, au bout d'un moment on se rend compte qu'à de rare occasions la radio se met à grésiller alors qu'il n'y a pas d'ennemis, ce qui rend la chose encore plus flippante.


Ensuite, parlons de la prise en main du personnage. C'est un mec lambda, pas très futé, et absolument pas préparé à affronter Silent Hill, encore moins physiquement que psychologiquement : il ne sait pas sauter, il ne peut pas faire trois mètres en courant sans être essoufflé, est lent comme un paresseux sous morphine et manie les armes aussi bien qu'un pingouin tétraplégique. Ce manque d'habileté est très bien retranscrit dans l'ensemble des contrôles, qui peuvent paraître frustrant et contre-intuitifs au début, mais dont la complexité se révèle indispensable à la connexion du joueur au personnage qu'il incarne. Se mettre en position puis frapper un ennemi, tout en semblant naturel, est extrêmement fastidieux.


L'absence d'auto-régénération ainsi que de sauvegarde automatique, comme on en trouve de plus en plus dans les titres plus récents, rend le tout encore plus stressant. Sans être un jeu spécialement difficile, cette absence de sauvegarde à des points stratégiques donne encore plus peur de ne pas sortir vivant de la prochaine pièce, et de devoir se retaper tout le niveau avec ce personnage lent et incapable de viser correctement avec une arme à feu. Ça n'arrive quasiment jamais car comme je le disais ce n'est pas un jeu difficile. Mais, tout le monde en est conscient j'imagine, la peur la plus redoutable est celle qui justement ne s'actualise plus, après l'avoir vécu une fois. Chat échaudé craint l'eau froide.


Et c'est là que l'expression « cas d'école » prend tout son sens. Le gameplay et le game desing sont au centre de la transmission d'émotions au spectateur. Le scénario et les graphismes sont absolument secondaires (et même, en ce qui concerne le scénario, volontairement ridicule), le tout dans un élan et dans un rythme anti-cinématographiques au possible, que la production actuelle semble délaisser de plus en plus. Je jouait à The Evil Within il y a peu, incidemment juste après avoir terminé Silent Hill, et j'ai été frappé par cette différence comme un café à une terrasse italienne un jour de canicule. Alors, comme nous l'avons vu, que l'horreur psychologique de Silent Hill ne se base pas du tout sur les graphismes, la machine de guerre graphique qu'est The Evil Within nous abreuve d'hémoglobine en HD et de coups de tronçonneuse en 60 fps. Le gameplay, en revanche, y est proche du néant, une espèce de vue à la troisième personne encore plus fade que celle de The Last of Us. Le tout n'est absolument pas terrifiant, et au final carrément chiant. Si j'osais la comparaison avec le cinéma, je dirais que Silent Hill est à The Evil Within ce que It Follows ou Halloween sont à Saw, ou même, mieux, à Saw 3D (que je critique alors que je ne l'ai même pas vu, bouh le méchant).

supertwister
9
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le 5 août 2015

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