Silent Hill
8.1
Silent Hill

Jeu de KCET, Keiichiro Toyama, Akira Yamaoka, Team Silent et Konami (1999PlayStation)

La sortie du premier Resident Evil en 1996 marque l'avènement du survival-horror, sous-genre du jeu d'aventure qui possédait déjà quelques représentants discrets, tels que Alone in the Dark. Le titre de Capcom rencontra le succès et provoquera indirectement l'arrivée sur le marché de nouveaux jeux reprenant les mêmes codes. Parmi les Martian Gothic et autres Deep Fear, on retrouve Silent Hill, une nouvelle licence de Konami, qui revendique une approche beaucoup plus psychologique de la peur.


En effet, Silent Hill n'a qu'une seule devise : sortir le joueur de sa zone de confort. Pour cela, les développeurs ont construit un game design ingénieux, fonctionnant volontairement à deux vitesses. Prenons l'exemple de l'exploration. Le jeu exige que le joueur fouille les environnements à la recherche de clés ou d'objets lui permettant de progresser. Mais paradoxalement, le joueur rencontrera sur son chemin énormément de portes fermées et de pièces vides, quand elles ne sont tout simplement pas remplies d'ennemis. Le jeu ne récompense que très peu la bonne volonté de celui qui tient la manette et le laisse souvent mariner avec la sensation d'être puni.


La gestion de la lumière est elle aussi une belle trouvaille de ce game design. La ville devenant de plus en plus sombre à mesure que le personnage principal, Harry Mason, s'y enfonce, la lampe torche apparaît rapidement comme un allié précieux. Cet objet permet de créer une ambiance irréelle à l'aide de magnifique effets dynamiques (nous sommes en 1999 je le rappelle), mais il est aussi au cœur d'un problème : les monstres sont attirés par la lumière. Le joueur est donc tiraillé entre l'envie d'avancer normalement et le besoin d'éviter les combats autant que possible. D'une certaine manière, l'allié se révèle être un traitre.


Il en va de même pour la radio récupérée en début de partie, qui siffle lorsqu'une créature se trouve à proximité. Déjà, son aspect pratique est compensé par le son désagréable qu'elle produit (le jeu ne fait jamais un cadeau au joueur sans arrière pensée) mais en plus ses capacités se retrouvent compromises par des monstres s'avérant inoffensifs et des lieux où elle est rendue inutilisable. Impossible donc de lui faire totalement confiance.


Nous pouvons maintenant nous éloigner du game design tout en restant dans le domaine du son avec les musiques. Akira Yamaoka a su jongler avec plusieurs ambiances sonores sans jamais rompre le ton si particulier du titre. Outre quelques pistes profondément mélancoliques (souvent dédiées aux personnages), ses compositions sont majoritairement un mélange de bruits métalliques agressifs évoquant une immense machine infernale. Ces sonorités étranges font travailler l'imagination du joueur (difficile parfois de distinguer ce qui relève de la bande-son et ce qui relève du bruitage) qui s'imagine des horreurs bien pires encore que celles qu'il peut croiser dans un Silent Hill rouillé, parsemé de chair et de sang.


Je terminerai ce petit tour de la construction de la peur en abordant le point qui me semble le plus important : les événements sans explications. Je ne parle pas ici du scénario, mais des atrocités découvertes çà et là au gré de l'exploration. Par exemple, le joueur n'aura aucune réponse sur l'origine du corps découvert sur le grillage lors des premières minutes de jeu. Pire encore, le titre propose même des choses complètement aberrantes d'un point de vue logique. Elles prennent souvent le joueur au dépourvu et le mettent instinctivement sur ses gardes (je pense à l'ascenseur de l’hôpital, c'est extrêmement glauque mais cela relève du génie). Dommage que cet aspect soit si timide dans cet opus, il est bien plus poussé dans le 2 et certainement le 3, que je compte faire très prochainement.


Dans ce flot de qualité, un défaut surnage toutefois. Je trouve franchement que ce n'est pas sympa de la part des développeurs d'avoir volontairement mis en retrait les éléments permettant d'obtenir les différentes fins. Je ne pense pas qu'un joueur puisse deviner tout seul du premier coup qu'un certain objet est récupérable et qu'un certain lieu est accessible. Du coup lutter toute l'aventure pour aboutir sur la pire fin c'est horriblement frustrant, même si cela est totalement dans l'esprit du jeu...


Les développeurs de Silent Hill exploitent donc tous les moyens inhérents au jeu vidéo pour proposer une approche beaucoup plus viscérale de l'angoisse. Ce survival horror arrive parfaitement à pervertir le quotidien à travers de nombreux éléments visuels et sonores. Par ailleurs, la narration est terriblement efficace puisque les différents fins permettent de voir l'histoire sous différents angles, et donc de se faire une idée plus précise de cette affaire obscure. Toutefois, Silent Hill souffre rétrospectivement de la comparaison avec sa suite, plus aboutie sur tous les points. Il ne faut cependant pas dénigrer ce premier opus, qui existe par lui-même et va bien au delà de ce qu'on peut attendre d'un bon survival-horror.

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9
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le 16 févr. 2016

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