A vrai dire, dès les premières secondes j'ai su que quelque chose clochait. Un mauvais feeling. Sur un point peut-être accessoire : qu'est-ce que cette connasse de Triss fait dans mon pieu ? Quand je pense que j'ai passé le premier volet à m'en méfier comme de la peste, cette fourbe a sûrement tué Shani et versé un charme dans mon pinard (<= la sorcellerie au secours de scénaristes réalisant qu'ils ont créé un personnage peu porteur scénaristiquement, décidant donc de ne pas le faire apparaître dans le 2, mais ne prenant pour autant pas la peine de le faire avec cohérence).

HS/ En fait j'ai eu un mauvais pressentiment avant même de commencer le jeu pour la simple et bonne raison qu'on est obligé de sortir du jeu pour binder les touches ! Mince alors, c'est incroyable un truc pareil.
Quand j'aborde un jeu, en particulier quand c'est un nouveau gameplay, je teste le système de jeu et je fais en sorte de trouver une configuration qui convienne à ma manière de jouer. Ça demande du temps et du tâtonnement, ça peut même évoluer en cours de partie, alors si à chaque fois je dois quitter le jeu ça le fait vraiment pas.

Ce point de détail n'est toutefois pas représentatif de la frustration immense qui a habité mes premières heures de jeu. J'ai en effet plusieurs fois hésité à lâcher le jeu et à lui mettre un sauvage 2/10. Et si finalement je me suis rendu au bout ce n'est pas pour autant que je suis revenu sur les reproches que je lui adressais au début, ils se sont au contraire confirmés.
Mais heureusement j'ai pu me plonger dans l'histoire, après avoir repris le contrôle de ma destinée. Je touche peut-être là une des raisons de mon entame frustrante du jeu : j'étais sensé reprendre mon avatar du premier jeu, je me retrouve en fait avec un type dont j'ai perdu le contrôle. Quand on commence à devoir assumer des décisions qui sont vraiment les nôtres, ça va tout de suite mieux.
Cette faute de goût est malheureusement appelée à se généraliser, avec la multiplication de ces jeux 1/ à épisodes et 2/ où les actions influent de manière significative sur l'histoire. Si on veut faire ça bien, y a pas 36 solutions : on en fait un véritable prolongement de l'opus précédent, où les actions passées sont véritablement prises en compte et ont une influence, en gros comme s'il ne s'agissait en fait que d'un seul jeu. Ou alors, si on veut en faire une histoire quasi indépendante liée uniquement par deux trois allusions en arrière plan, bah on développe un nouveau personnage.

N'empêche, j'ai fini par me prendre au jeu. L'univers reste le même que le premier, un truc de fantasy avec de la magie et des elfes, pas très intéressant donc. Par contre ce qui est prenant ce sont les confrontations entre les différents intérêts, avec beaucoup d'embrouille, des personnages plutôt bien torchés et des situations complexes. C'est toujours aussi prenant que d'essayer de tracer son chemin au milieu de ce chaos en tentant de ne pas agir trop mal. Je ne m'étends pas sur le sujet, ça a déjà été écrit 50 fois. Mais il fallait que ça soit dit avant de casser du sucre sur le dos du jeu.
[J'aime aussi le nouvel arbre de compétence, j'espère qu'ils garderont le système pour le 3 (et surtout qu'on pourra conserver sa progression, cf le paragraphe précédent).]

Car The Witcher 2 souffre de défauts nombreux. Tout d'abord l'impardonnable approximation de son gameplay, suivi du tropisme habituel des grosses prods pour le spectacle – en gros, être de moins en moins un jeu et de plus en plus une histoire interactive.

1/ Gameplay pur, qui se révèle très laborieux, même après rodage.

Remarquons quand même que le gameplay du premier était pas top non plus – on contrôlait en général bien ce qu'on faisait, mais on était assez peu immergé dans l'action –, une refonte n'était donc pas une mauvaise idée.
Reste qu'il est impossible de se déplacer avec précision (en phase d'infiltration c'est redoutable) et viser un PNJ, que ce soit pour lui parler ou pour lui taper dessus, est une galère de chaque instant – idem pour les objets (vous ne saurez jamais moins ce que vous faites que devant une pile de caisses à looter), portes ou échelles pourtant immobiles. TW1 c'était pas le panard, mais au moins à ce niveau il était facile de cliquer pour activer ce qu'on voulait.
On me dira que c'est la conséquence de l'immonde « consolisation » des jeux, dont la conséquence est 9 fois sur 10 une jouabilité à chier, ça sera pas tout à fait faux. Mais il me semble aussi que ça vient d'un système de jeu au cul entre deux chaises : d'un coté le hack'n'slash PC classique où on clique sur le monstre à taper, de l'autre le beat'em up où chaque commande est associée à une action fusse-t-elle réalisée dans le vide. TW2 est un peu entre les deux, et je me demande s'il n'a pas conservé le pire de chaque. Ainsi il est bien difficile de désigner l'ennemi qu'on souhaite attaquer (il est bien possible d'en locker un pour pouvoir s'acharner dessus mais on perd énormément en réactivité face aux attaques des autres – le problème se posant justement dans les combats contre plusieurs la remède est donc pire que le mal), on se retrouve souvent à attaquer un adversaire en deuxième ligne et donc encerclé en fin de mouvement, ce qui se conclue dans 90% des cas par la mort – une maniabilité laborieuse devient alors rapidement frustrante.
Dans le même genre, il est impossible de reculer en faisant face aux adversaire (sale gameplay de TPS console, pouah !), ce qui est pourtant très pratique, plutôt que de lui tourner le dos pour se prendre un coup d'épée.
S'ajoute à cela une gestion de la caméra approximative, affichant régulièrement en premier plan des éléments de décor (branche d'arbre, poutre, etc, et je parle même pas du cas où vous combattez sous une arche ou une porte, car là en plus la caméra bouge) qui cachent l'action.
Bref, jouer (oui oui, je parle bien de « jouer », ce qui semble de plus en plus rare dans les jeux vidéo) à TW2 est très souvent frustrant et rarement plaisant. J'ai trouvé motivation dans la découverte de l'histoire, mais je ne suis même pas sûr d'avoir éprouvé le moindre « plaisir de jeu ».

HS/ Revenons quand même en aparté sur des considérations narratives, puisque si l'intrigue est prenante certains choix narratifs me semblent surprenants, voire carrément contestables.
C'est une question de point de vue.
Le problème ce sont, au début de chaque chapitre, des scènes utilisant un point de vue de narrateur omniscient – ainsi que quelques scènes jouables où le joueur incarne un autre personnage – alors que le récit est, bien naturellement pour un jeu de rôle, narré d'un point de vue interne. Trop rares pour pouvoir incarner un choix formel consistant, ces scènes tombent en fait comme un cheveux sur la soupe.
On voit très bien l'influence responsable de ces errements : les scénaristes adoptent ici une narration cinématographique. Ça suffirait à rendre ces options scénaristiques douteuses dans n'importe quel jeu vidéo mais dans le cadre d'un jeu de rôle, genre qui nécessite l'identification au personnage (d'autant plus que TW est plutôt orienté roleplay), c'est une authentique faute de goût, incohérente et particulièrement non immersive.

HS again/ Toujours sur la tentation cinématographique de ce jeu (parmi tant d'autres), l'abus de cut-scenes m'agace. Parfois, en particulier lors de l'assassinat du roi qui dure trois plombes en se voulant intense mais étant en faite chiante, je gueulais même à mon écran « ta gueule, je veux jouer, pas regarder des vidéos ! ». D'une manière générale, je suis frustré par ces tunnels de dialogues où je choisis à peine un tiers de mes répliques. Mais ce qui m'agace le plus sont sans doute les ruptures et les champ-contrechamp opérés – ça serait pourtant tellement mieux de proposer ces dialogues in-game et sans ces coupures...
(pour la suite de cette idée, voir le dernier paragraphe)

2/ Tropisme spectaculaire.

2-a/ Beaucoup d'esbroufe dans TW2.
À commencer par la production design. Faut croire que je suis le seul, mais je trouve TW2 moche. Pas techniquement bien entendu (le graphisme du jeu semble justement n'avoir pour unique objet que de pousser les machines dans leur retranchement), mais du point de vue de la direction artistique. Le plus haïssable est bien entendu sa tendance à ajouter des torches et des feux de camps tous les deux mètres, sans parler des lucioles, du soleil qui filtre à travers le feuillage et autres puits de lumière. « T'as vu comme je masterise les éclairage dynamiques comme un gros porc ? – Ah bah ça je peux pas le louper, mais ça sert à quoi ? » Le fait est que ça cherche à se faire passer pour du Rembrandt, mais évoque davantage ce que produirait un David LaChapelle shooté à la poudre de perlimpinpin qui s'essayerait à la fantasy. En fait graphiquement TW2 est juste grossier, dans tous les sens du terme.
[Comparons avec l'incomparable, The Void (le jeu de Ice-Pick Lodge) : ce jeu aussi se branle sur la lumière, mais s'il se révèle beau c'est pas parce qu'il met à mort ma carte graphique mais parce que son graphisme exprime une identité visuelle et un imaginaire évocateur, pas un penchant décadent pour la surenchère.]
Dans le même genre d'idée, alors que j'avais trouvé celle du premier plutôt pas mal, la musique est ici horriblement pompeuse. A tel point que j'ai fini par la baisser histoire qu'elle me casse plus les oreilles.

Mais on va dire que c'est moi qui ai des goûts de chiottes.
Il n'en reste pas moins des morceaux d'esbroufe incontestablement polluante. Tiens, prenons le nouvel inventaire, il sacrifie totalement l'ergonomie sur l'autel de l'apparence (c'est beau comme un site en flash, ahah) : pauvre en information, impossible à appréhender dans sa globalité, etc, avec en plus des textes déroulants terriblement agaçants qui auraient pu être escamotés au prix de cinq minutes de réflexion sur leur usage. Dans la lignée de ce nouvel inventaire, la fabrication de potions, de pièges et de bombes est devenue particulièrement désagréable, notamment parce qu'on n'y a aucune notion des stocks d'éléments (résultats des courses, alors que dans le premier on choisissait avec soin ses ingrédients selon les effets souhaités, dans TW2 on appuie sur le bouton et on laisse la cuisine random se faire).
Parlons aussi du poker au dé, un de mes passe-temps préférés du premier volet, qui est devenu absolument imbitable à cause notamment d'un mouvement de caméra entre les différentes phases de jeu, perturbant salement la lecture de la partie.
(heureusement le bras de fer est beaucoup plus rigolo)
Ce sont des détails ? Malheureusement non. Au contraire, c'est symptomatique.

2-b/ Le spectacle au détriment de l'immersion.
Tout cela m'amène logiquement à mon dernier point, comment le penchant spectaculaire du jeu se fait paradoxalement au détriment de l'immersion du joueur, et comment par derrière on tente vainement d'ajouter des vecteurs d'immersion foireux.
Ça devient un classique dès qu'on veut insister sur l'aspect spectaculaire d'une action ou d'un événement, on insère au milieu de l'action de jeu une animation. Genre quand un ennemi est assommé on a la possibilité de le tuer d'un seul coup : au lieu de simplement animer ce coup fatal dans le flux du jeu, on le rompt avec une animation sensée être spectaculaire et intense. Idem quand un coup de tentacule mal placé par un gros poulpe furieux fait s'écrouler un morceau de pont : pour bien insister dessus on interrompt le déroulement du jeu pour imposer le spectacle au joueur ; ne serait-ce pourtant pas plus intense s'il ne perdait pas le contrôle de son action pendant ce genre d'événement, s'il restait immergé dans un unique flux visuel ?
Niveau gameplay pur ce système est déjà gênant, puisque se faisant par des mouvements de caméra et/ou des coupes, et perturbant donc l'appréhension de l'espace par le joueur : ainsi lorsqu'il retourne à une séquence jouable sa perte de repères et de rythme se voit souvent sanctionnée par un coup d'épée ou autre attaque surprise (rien de plus frustrant).
Mais le principal travers de ce système est de produire l'effet inverse de celui recherché. Les créateurs du jeu veulent produire l'immersion, et ils la cherchent à travers la dramatisation de l'action. Monumentale erreur. Au lieu d'y plonger le joueur ce procédé l'expulse du jeu, littéralement. De plus il lui rappelle qu'il peut à tout instant être dépossédé du contrôle de son avatar pour satisfaire les besoin du spectacle – soit l'antithèse stricte de l'immersion et de l'identification à la base du jeu de rôle.
Alors pour faire bonne mesure, parait-il pour redonner au joueur de l'initiative au coeur du spectacle, on nous assomme d'actions contextuelles (quick time events : appuyer sur les bons boutons au bon moment quand la commande s'affiche à l'écran). Si le procédé est sympa pour les mini-jeux (boxe et bras de fer), leur utilisation dans l'action m'agace au plus haut point, tellement son rôle se révèle pernicieux. Sérieusement, à quoi ça m'avance de marteler une touche pour régler une catapulte ? Je ne peux de toute façon pas la régler de traviole (au cas où j'aurais un esprit punk), si j'ai aucun contrôle sur mon action autant l'effectuer le plus sobrement possible, plutôt que de devoir remplir une formalité mécanique sensée me faire croire que j'agis. Et que dire de cette séquence où je dois échapper à un dragon, mais où il me suffit de laisser la touche « bas » enfoncée puis de regarder ses mâchoires m'éviter (comme par hasard) de justesse et mon personnage se planquer au bon moment parce que bien que privé de la moindre initiative j'ai eu la présence d'esprit d'appuyer sur le bouton qu'on me disait de presser ! Scrogneugneuh. Plutôt qu'une illusion de participation à une séquence en fait parfaitement scriptée, je veux une authentique possibilité d'action !

Tout cela est valable pour TW2, mais aussi pour un bon paquet de jeux plus ou moins récents. D'ailleurs c'est pas tant les jeux eux-mêmes que je déteste, mais plutôt l'évolution de ces jeux en général, leur inclinaison de plus en plus prononcée pour le spectacle au détriment du jeu. Évolution d'autant plus inéluctable que tout le monde semble aimer. Je suis foutu. Monde de merde.
epikt
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le 23 juin 2011

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epikt

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