De Louki, qui n'est qu'un surnom, on ne sait que des faits : son nom, ses fréquentations, les lieux qu'elle emprunte, son âge, quelques détails sur son apparence... Roman à quatre voix, le livre de Modiano dépeint la jeune fille à travers d'autres yeux que les siens : un étudiant rencontré dans un bar, un détective contacté par le mari désespéré qu'elle a quitté, et un amant. Et puis au centre du livre, on a le point de vue de Louki même. Qu'apprend-on de cette plongée en son être ? Qu'elle a peur, qu'elle fugue le soir, "vagabondages de mineure", qu'elle n'a pas de père, qu'elle a été refusée dans une école, qu'elle boit et se drogue parfois.


Troublante, mystérieuse et sans attache, elle est à la fois d'une discrétion et d'une timidité infinies, et pourtant elle semble intriguer ceux qui l'entourent. Elle marque par son absence. Sa discrétion créé autour d'elle une sorte d'aura. Elle est impénétrable : même quand elle boit, elle tient si bien l'alcool qu'il n'y a pas d'altération de son état normal, aucune percée au fond d'elle.


Elle semble toujours en train de fuir. Fuir son passé, fuir ses démons. Enfant, elle fugue de chez elle. Mariée, elle quitte son mari sans explications. La fin du livre est une ouverture, ou une sortie : toute sa vie elle a cherché à s'échapper, changeant d'adresse, de bar, de quartier, d'amant, d'amis, sans finalement rassasier cet appétit de fuite qui au fond, n'est qu'une fuite en dehors d'elle-même. Mais s'il y a bien une chose dont on ne peut se séparer, c'est de son être propre.


Louki est émouvante. Elle est difficile à comprendre. Et pourtant, je me reconnais en elle. La stabilité semble l'effrayer. Se dire que les choses ont de toute manière une fin, avoir peur de cette fin, mais être soi-même à l'origine de la rupture...


C'est le premier livre que je lis de Modiano et je souhaiterais en lire d'autres pour rester dans son univers et, peut-être, comprendre un peu mieux ce qui se trame dans la tête de Louki - c'est-à-dire dans la sienne. Comprendre les indices qu'il laisse traîner sans ses pages, sur la vie, sur le temps et les choses. Il parle très souvent du passé. De l'Eternel Retour, qui semble si important pour Roland. A plusieurs reprises, Roland tout comme Louki se retrouvent dans le quartier de leur enfance, et toujours, ils veulent le fuir. Ou bien des rues où ils ont vécu, des endroits qu'ils fréquentaient auparavant. Le passé leur fait peur.


Ce roman déborde du poids du passé, des vies qu'on veut laisser derrière soi et de la difficulté à s'en échapper tout à fait. Le passé fait partie de chacun de nous et vouloir le fuir, c'est vouloir se fuir soi-même.


Mon explication est brève. Elle n'est pas précise. Elle se focalise sur certains éléments, en oublie d'autres mais en retire certaines pensées et c'est au final ce que je souhaitais. A l'origine, je voulais juste savoir si j'aimais ce livre, et si oui à quel point. Maintenant je sais. On ne peut pas juste dire qu'on "aime" un livre, ou qu'on "n'aime pas". On doit dire : ce livre m'a fait ressentir, ce livre m'a provoqué des sensations, ce livre m'a fait voyager dans les ruelles du Paris des années 60, ce livre m'a fait réfléchir à la fuite et au passé et j'ai envie de relire ce livre pour en saisir les rouages. J'ai beaucoup aimé ce livre.


Je le conseille pour son ambiance opaque qui pèse lourd sur les épaules, faite de passé, de mystère et de mystique.

abrabrabra
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le 4 août 2015

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