Rousseau, le grand-père de l'anthropologie sociale moderne, LE Génie de genève

Bonjour à tous,

Voici, aujourd' hui encore, ma critique d' un écrivain que j' adore, que j' admire et qu' il me semble est un génie à l' état pur, souvent victime de préjugés monstrueux et aberrants, même encore à notre époque. C' est le plus grand penseur du XVIIIème siècle. Voltaire n' est qu' un chiot hargneux et agressif à côté. Qu' on se le dise. Il y aurait beaucoup à dire sur Rousseau, afin de le défendre contre certains préjugés grossiers, comme le fameux " mythe du bon sauvage ". C' est un préjugé que l' on nous apprend au lycée, et auquel on croit jusqu' à ce qu' on lise Rousseau.... C' est un préjugé très réducteur de la pensée de Jean-Jacques qui est bien plus subtile que cela et plus intelligent que l' on veut nous le faire croire. Mais devinez qui a répandu ce préjugé à la base ? Et bien, c' est Voltaire. Et oui. Ou encore le fait que Jean-Jacques est un philosophe des Lumières. C' est faux !! Il n' a écrit que quelques articles sur la musique et s' est très rapidement opposé aux encyclopédisites, dès 1748 !! Mais je pourrais m' étendre plus longuement encore sur cet admirable Jean-Jacques, que j' admire, comme je l' ai dis auparavant.

Mais revenons au livre qui nous interesse aujourd' hui. Ce fameux discours sur l' origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes. Revenons à nos moutons.

Le célèbre Discours de Rousseau répond à une question proposée par l’Académie de Dijon : « Quelle est l’origine de l’inégalité parmi les hommes, et si elle est autorisée par la loi naturelle ». Dès le début, Rousseau n’entendra pas l’énoncé dans sa stricte acception. Tout d’abord, l’homme est probablement un objet de recherche dont il faut se défendre de posséder un savoir consistant, surtout quand on exige de la réflexion qu’elle remonte aux origines – Rousseau réagit en philosophe qui ressent quelque scrupule à se lancer sur un sujet dont le terme principal n’est pas même solidement arrimé dans la connaissance de son temps. Mais l’incertitude ne retranche rien à l’utilité de la question : en proposant de discourir sur l’homme et l’inégalité originelle qui découlerait de sa nature, on ne se prépare à rien d’autre qu’à l’édification d’une anthropologie. Et quitte à parler d’une préparation, précisons d’emblée que Rousseau va poser dans son Discours les jalons déterminants de son Contrat Social. C’est l’autre raison qui explique en quoi l’auteur se préoccupe moins de la question posée que ce qu’elle implique pour une philosophie politique qui cherchera à comprendre le passage du droit naturel à la société civile. D’où la thèse principale de ce Discours à tous égards intrépide et magnifique : s’il y a de l’inégalité parmi les hommes, tout au plus sera-t-elle de faible énergie à l’état de nature, et elle ira en s’intensifiant au fur et à mesure que l’homme s’imprègnera des mœurs de la vie sociale. L’affirmation d’une telle idée, sans la passer au crible de la discussion, risque d’induire en erreur le lecteur cosmopolite de notre monde présent.

Avec Rousseau, la situation de l’homme naturel (c'est-à-dire de l’homme vivant à l’état de nature) fonctionne dans sa rhétorique à l’instar d’une fiction utile. Car dans un premier temps il faut bien parler de rhétorique en ce qui concerne ce Discours : il ne s’agit pas tant de démontrer un état de fait que de persuader un auditoire sur un ensemble d’intuitions vives qui ne sont énoncées qu’en vue d’être ultérieurement étoffées dans le Contrat Social. C’est pourquoi nous serons souvent saisis par les images ingénieuses que Rousseau sélectionne afin de marquer l’esprit de ceux qui l’écoutent et de ceux qui le liront. Il n’est guère différent alors des sophistes et de leurs techniques épidictiques : si l’éloquence se maintient, si la forme devient garante du fond par les vertus de sa beauté envoûtante, alors on prendra plus facilement pour vrais des arguments qui en tout autre discours auraient paru fallacieux. Ce Discours, donc, est un siècle plus tard l’exact opposé du Discours de la Méthode de Descartes ; Rousseau ne se promet aucune bonne conduite dans la recherche de la vérité, il se concentre au contraire sur les outils de la littérature pour décrire un contexte que la science ne nous permet pas de connaître par les forces de l’esprit analytique : la situation de l’homme à l’état de nature. Faut-il alors reprocher à Rousseau une absence de rigueur dans la pensée ? J'aurais tendance à dire pour ma part qu'il est préférable de saluer ici l'urgence des vérités convoquées par l'intuition philosophique. Rousseau n'a pas le temps de composer un traité classique : il lui faut parler ici et maintenant, tant pis pour les excès et tant mieux pour le coup de génie.

Un fameux contresens proclame que Rousseau est le chantre du retour à la nature, comme s’il appelait de ses vœux les plus chers une agglomération de tous les Bons Sauvages. C’est l’inverse qu’il faut comprendre : la description de l’homme naturel est un mythe qui soutient l’argumentation philosophique, Rousseau est parfaitement conscient que nous n’avons que le modèle de l’homme civilisé pour nous exprimer. Du moins nous avons l’homme civilisé de l’Europe du XVIIIème que nous pouvons essayer de situer en contrepoint des barbares d’antan pour nous convaincre de ce qu’il est nécessaire d’interpréter dans l’opposition Nature/Société, ou tout bonnement Nature/Culture. Du reste, la simplicité fictionnelle de l’état de nature tel qu’il est envisagé dans la fable rousseauiste (qui s’inscrit notamment contre la fable de Hobbes où les hommes se font la guerre avant de passer un contrat civil en se soumettant verticalement à un souverain) est en soi étrangère à toute histoire humaine répertoriée. Plus spécifiquement, l’état de nature constitue une absence totale d’histoire. L’homme naturel est sans lendemain tandis que l’homme civilisé, en tant qu’il est entré dans l’Histoire, se fabrique la possibilité d’un futur aux multiples enjeux. En d’autres termes, le passage à l’Histoire responsabilise les hommes puisqu’ils deviennent des sujets actifs, des êtres préoccupés par le temps qui passe.
L’homme civilisé, en un sens, a appris que la mort serait le terme de sa participation historique ; c’est ce qui l’arrache de l’état naturel où il n’était qu’un être de sensations et d’indolence, en définitive pas très éloigné du règne animal. La vie sociale engendre des échelles de la responsabilité alors que la vie sauvage donnait à chacun les ressources de sa conservation neutre. L’inégalité est de ce point de vue affirmée par un état de légitime concurrence qui ne pouvait pas exister dans un monde où chaque individu était à lui-même le territoire de toutes ses espérances. Le " vivre-ensemble " neutralise la nature à plusieurs degrés : déjà l’urbanité raréfie l’étendue naturelle, puis l’homme se voit contraint de nier ce qui était autrefois ses motivations naturelles, transformant ainsi sa nature originelle en une sorte d’acculturation où le concept de PROPRIÉTÉ va rompre définitivement le lien naturel entre ce qu’il a été et ce qu’il est devenu – cf. le premier paragraphe de la seconde partie du Discours. Non seulement l’homme se ramollit à la ville étant donné qu’il a perdu ce qui le rendait fort à l’état de nature, mais il s’affaiblit d’autant plus qu’il est épuisant de justifier de ses propriétés quand une quantité de raisons indique aux autres que la propriété s’établit dans un régime de corruption.

Rousseau explique ensuite que les raisons ayant poussé l'homme à utiliser sa faculté à perfectionner tiennent de la contingence, c'est-à-dire, qu'elles auraient pu ne pas se produire. On y voit là un écho de la théorie de l'évolution de Darwin qui affirme que l'origine de l'homme n'est que le fruit du hasard. L'environnement y joue pour beaucoup, l'homme ayant un jour décidé de s'associer avec un autre pour pouvoir chasser et se protéger. Avec cela vient l'apparition du langage (autre concept crucial en anthropologie) et par conséquent, la vie en groupe. C'est là que la jalousie et la compétition naissent petit à petit... C'est l'homme des cavernes.

Finalement vient un événement décisif dans l'apparition de la société civile et de son lot de malheur : l'agriculture (!). Pour cultiver la terre, il faut des outils (métallurgie). Comme le forgeron manque de nourriture, il doit dépendre de l'agriculteur : là commence à apparaître l'égoïsme et l'importance des apparences. Naissent l'écart entre les deux classes, entre les riches et les pauvres, les forts et les faibles, les propriétaires et les ouvriers (allusion à Karl Marx). Voilà comment sont nées les inégalités sociales, et la domination d' une petite oligarchie noble ( à l' époque ) puis bourgeoise au XIXème siècle.

Après tout ce récit de l'humanité, Rousseau arrivera à conclure que les inégalités entre les humains ne sont pas justifiables et qu'elles ne sont qu'un simple artifice découlant de la vie en société. La liberté est inaliénable : on a le droit de refuser la domination. Mais au lieu de proposer de retourner à l'état de nature, ce qui est manifestement impossible, Rousseau proposera ce qui constituera le thème d'une de ses oeuvres maîtresses : le Contrat Social.

Comment un homme du 18e siècle a-t-il pu réussir à prédire, sans qu'il en soit complètement persuadé, des vérités que les biologistes et anthropologues confirmeront un ou deux siècles plus tard? Il faut le reconnaître : Jean-Jacques Rousseau, le sensible, l'intuitif, l'anti-rationaliste de son temps, fut un génie extraordinaire. Tous les grands penseurs, après lui, lui doivent quelque chose. Il a instauré une vision diachronique de l' homme dans L' Histoire. Ce qui est nouveau, à l' époque !! De plus, il a dépassé l' alternative, bien faible, entre l' ordre divin de l' homme ( vision religieuse : l' homme est malheureux car victime de sa déchéance à cause du péché originel ) et l' ordre naturelle ( c' est-à-dire la vision d' Hobbes dont la formule la plus célèbre est " L' homme est un loup pour l' homme ". Donc, l' homme est quelqu' un de mauvais ontologiquement, il n' y a rien à faire, c' est inéluctable. Je caricaiture exprès, mais ce n' est pas loin d' être vrai. ). Il s' est opposé à toute la Doxa de son époque et a révolutionné la philosophie : Kant, Hegel, Marx, Nietzsche, etc.... Tous les penseurs du XIXème lui doivent quelque chose. ;). Dois-je préciser que c' est quand même impressionnant, objectivement ? Génie ? Oui, oui, mon bon monsieur. :).

Sur ce, je vous souhaite de bonnes lectures et espère vous avoir donné envie de découvrir ce brave Jean-Jacques. Portez vous bien. Continuez à lire des livres. La lecture élève l' âme, ne l' oublions pas. :). Tcho.
ClementLeroy
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le 3 févr. 2015

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San  Bardamu

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