De l'importance de bien nommer les choses...

"Eloge du blasphème" est évidemment un livre de réaction à l'événement. Et en tant que tel, il apporte des clarifications fort utiles, mais porte en lui des remarques qui le sont probablement moins.
Parmi tous ceux qui ont été choqués par le massacre du 7 janvier, beaucoup ont sans doute été blessés par la suite par le tiède discours des "Oui, mais" qui a fleuri dans les média. "OUI, c'est une horreur, MAIS ils l'ont quand même un peu cherché..." Ce pénible discours, Caroline Fourest l'a encore en travers de la gorge, et si vous aimez Charlie Hebdo, vous ne pouvez que partager sa frustration.


Une grosse première partie de son livre, appelée "Ils ne sont pas Charlie", est dédiée à une ribambelles de gens ou de groupes qui ont en effet tenu ces propos, juste après l'attentat. Si Fourest a complètement raison sur le fond, elle a tort je crois d'y avoir balancé tant de noms et de laisser planer sur son livre comme un petit air de règlement de compte (certains aussi l'ont cherché, il faut bien dire). Les haineux ont haï, comme on s'y attendait, d'autres personnes ont manqué de finesse ou de tact.... C'est certes navrant et choquant mais finalement bien de notre époque. Je suis un peu réticent donc sur cette partie du bouquin, je dois dire, même si l'opposition gauche universaliste (Charlie) et gauche communautariste (Mediapart) est intéressante et si on a toujours besoin d'une piqûre de rappel concernant l'onctueux mr Tariq Ramadan.


Fourest est plus pertinente par la suite quand elle s'attaque à la notion d'islamophobie, piège sémantique qui permet à certains de décrédibiliser les opinions laïques ou anti-religieuses au nom d'une thématique différente, qui celle du racisme. C'est ce terme et sa mauvaise utilisation qui permet de faire passer des énormités, comme faire croire que de gens comme Maris ou Cabu auraient pu être des haineux eux-mêmes... Islamophobie est un terme qui curieusement semble répandre le mal qu'il est sensé désigner.
Autre point intéressant est l’analyse des média anglo-saxons, qui ont fait preuve d'une navrante lâcheté en refusant de publier les dessins de Charlie, parfois dans la panique la plus grotesque... Fourest pointe avec justesse vers une culture très différente entre nos pays qui explique cette reculade du monde anglo-saxon.


Ce n'est bien sûr pas du blasphème dont il est question de faire l'éloge (ce n'est qu'un moyen amusant et parmi d'autres d'emm..der les extrémistes religieux), mais bien du droit au blasphème, cette liberté fondamentale que Fourest nous montre comme étant finalement fort peu répandue dans ce XXI° siècle qui s'obscurcit.


Malgré une première partie un poil polémique (et fort bien menée !), beaucoup d'intelligence, de bon sens et d'humanité dans ce bouquin, dont la seule lecture nous fait douloureusement ressentir à nouveau la perte de ces potes géniaux qu'étaient le noyau dur de la bande à Charb.


PS: je m'en vais lire Todd , qui a aussi son idée sur le sujet. ;-)
PS 2 ; une bonne interview de Fourest :
http://www.liberation.fr/societe/2015/05/20/on-ne-fera-pas-baisser-le-racisme-en-trouvant-des-excuses-sociologiques-aux-fanatiques_1313270

nostromo
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le 19 mai 2015

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nostromo

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