Histoire de la violence est le deuxième livre d’Édouard Louis que je lis, et je dois reconnaître que comme pour En finir avec Eddy Bellegueule, je suis complètement perdue face à ce roman. Je résume rapidement l’histoire : le narrateur est victime d’un viol, il retrace dans le roman l’histoire de ce viol, en nous présentant sa vie avant et après cet épisode traumatisant. Il cherche également à expliquer son viol, à montrer des signes avant-coureurs (autant dans tout ce qui a mené à ce viol, que dans l’histoire de son violeur). Le roman se présente comme un récit polyphonique : l’histoire du viol n’est pas prise en charge entièrement par le narrateur, mais par sa sœur. Le narrateur interrompt à plusieurs reprises sa sœur pour ajouter des détails, des informations, ou pour rectifier ce qui a été dit. Mais il intervient également (et c’est ce qui est présenté en caractères italiques) pour se parler à lui même. On trouve ainsi dans ce roman un « je », un « il » et un « tu », ce qui crée une certaine confusion au début.


J’ai retrouvé en lisant ce roman le même style froid, brutal et violent que j’avais découvert dans En finir avec Eddy Bellegueule. C’est une prose qui, personnellement, ne me plaît pas du tout, mais si son écriture ne me plaît pas, ce n’est pas parce qu’elle est pauvre, ou mal exécutée, au contraire, Édouard Louis a un style, une patte, il sait définitivement bien écrire.


Ce qui continue de me gêner avec Édouard Louis, c’est le regard qu’il porte sur sa famille, et sur ses proches : je le trouve parfois très méprisant, et assez méchant. Pour mieux vous expliquer, lorsque sa sœur prend en charge le récit, il la fait parler avec un langage extrêmement simpliste, chargé de marqueurs sociaux, et c’est très gênant, parce qu’on ressent le mépris qu’il éprouve à l’égard de sa sœur, et plus généralement à l’égard du milieu social dont il provient. Je crois également qu’Édouard Louis a cherché à faire de la sociologie dans son récit (c’est particulièrement significatif lorsqu’il évoque l’histoire de Reda – qui est son violeur -, de son père migrant et de ses difficultés économiques, de la violence comme seul moyen pour survivre), mais ça ne prend pas. J’ai trouvé ça caricatural, grossier et superficiel. À vouloir raconter autant de choses en si peu de pages (puisqu’au final, 240 pages, cela ne fait pas de ce roman un roman fleuve), je pense qu’il s’est perdu, ou qu’il n’a plus qu’effleurer des problèmes, ce qui donne du coup ce côté un peu grossier et simpliste aux explications sociologiques.


De plus, ce roman est très dérangeant, il nous parle d’un épisode traumatisant, d’une extrême violence, en nous le faisant voir au plus près, tout en opérant un phénomène de mise à distance, de recul, comme s’il y avait une vitre de verre entre l’événement raconté et le récit. C’est extrêmement perturbant, parce que si le narrateur évoque des crises d’angoisse, des moments de dépression, le style reste très froid, et met tout cela à distance, l’émotion du narrateur ne nous atteint pas, ce qui met le lecteur dans une position très délicate. Pendant toute la lecture, je me suis sentie otage du récit, j’avais l’impression que le narrateur attendait de moi que je me place à la fois dans une position de témoin et dans une position de juge, ce qui m’a beaucoup gênée. Je ne me suis pas du tout attachée au narrateur, et j’ai été heureuse de l’abandonner une fois le livre fini. Je trouve que c’est une lecture qui blesse, plus qu’elle n’enrichit.

Blanchelamamie
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le 27 janv. 2016

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