Quel succès pour Stephan Hessel, quel succès pour ses idées ! Oui mais ..........

Après les lampions de la fête voici venu le temps des critiques pour« Indignez-vous ».

De Luc Ferry à Pierre Marcelle, de Boris Cyrulnik à Pierre Assouline, des voix s'élèvent pour amoindrir la portée, la justesse et finalement la valeur du témoignage de Stéphane Hessel.


Il ne s'agit pas d'être pour ou contre les engagements de Stéphane Hessel aux côtés des Palestiniens - ce qui à l'heure actuelle semble motiver la plupart des réactions et de fait ne concerne finalement que son auteur et restera donc sur le plan politique sans effet. Il s'agit au contraire de voir en quoi cet ouvrage donne par certains aspects les moyens personnels d'un nouveau positionnement social, même s'il ne le prend pas toujours à son propre compte et cède parfois bien volontiers aux facilités d'usage de notre époque, époque qu'il dénonce par ailleurs.

Cet article ne souhaite pas épouser la cause enthousiaste des lecteurs de l'ouvrage en recherche de bonne conscience, bien qu'il rende hommage sur certains points à l'auteur et aussi à l'éditeur; cet article ne souhaite pas non plus épouser la cause de ceux qui maintenant contestent les contenus du message, mais cependant mettre en relief son problème principal.

Comment ne pas trouver admirables les personnes d'un âge certain qui continuent à exprimer un désir pour les affaires du monde parce qu'elles disposent encore de cette énergie vitale qui leur permet de ne pas se replier sur elles contrairement à la plupart des personnes âgées qui n'ont pour seule force plus que celle de continuer un peu sur un régime minimum ? Hessel nous fait la belle démonstration, selon les valeurs des sociétés traditionnelles, que c'est à son expérience que l'on reconnaît la personne âgée et non à ses aspects physiques ! Ainsi la vieillesse n'est pas un délitement mais au contraire une densité nouvelle en mesure de transmettre son message directement, presque à l'état brut. Mais l'un des grands mérites du livre d'Hessel, si nous voulons bien le lire un peu entre les lignes, c'est de mettre l'accent sur le repli de chacun de nous, qui nous pousse jusqu'à ne plus avoir ne serait ce que la force de s'indigner. Vous savez, ce repli qui n'a pas d'âge, cette servitude volontaire qui nous attrape parce que sur le fond elle nous arrange bien.

Comment faire autrement que d'être admiratif devant un homme à la trajectoire
aussi puissante et ne pas s'incliner avec sincérité devant ceux qui ont su faire front au nazisme en prenant appui sur « le Conseil national de la résistance »? Il fallait en avoir, du courage physique et moral. Il fallait surtout être capable de transformer son indignation en opposition radicale, accepter de risquer quelque chose et pas n'importe quoi puisque c'était soi-même ! C'est qu'au repli de chacun de nous mais pourtant composant de cette société, il convient d'ajouter notre passive participation. Relisons entre les lignes : en fait, nous ne sommes pas que repliés, notre indifférence est le signe passif de notre nécessaire participation, en quelque sorte ce que nous repérons comme un repli n'est que le pli d'un signe en négatif de notre participation à ce que nous dénonçons.

Comment ne pas s'incliner devant les premiers hommes qui après la Libération ont su tirer les leçons du nazisme qui n'est pas un accident de l'histoire mais un défaut en chaque homme contre lequel nous devons lutter. Remettre en question le rapport des hommes au bien, à la justice, n'a d'intérêt que si nous sommes en mesure de commencer par nous-mêmes. S'indigner certes, mais cela n'a de sens que si nous nous indignons de ce que nous sommes et de notre indifférence: il ne s'agit pas de s'indigner contre les nazis mais de s'indigner, comme le philosophe Maurice Merleau Ponty dans « La guerre a eu lieu », de ne pas avoir eu la conscience assez éveillée pour s'opposer à la montée du nazisme.


Et quoi ? la seule leçon à tirer de tout cela serait de s'indigner !

Ah que voilà une grande vertu, et si l'indignation est certes indispensable, on le sait elle ne pousse que rarement à des actions en dehors de périodes historiques bien précises. Elle ne peut pas être le seul mot d'ordre qui devient défaitiste car cela suppose de partir d'une position dominée alors qu'il faudrait d'abord construire un projet !

Il n'y a pas en vérité ceux qui « s'indignent » et ceux qui sont indifférents, chacun connaît ces indignés du vendredi soir des repas en ville mais qui le lundi participent allégrement à ce qui est pourtant soi disant l'objet de leur mépris. L'indignation toute seule fait le jeu des dominants car elle permet de soulager les consciences et donc ... de continuer comme de si rien n'était. L'indignation chacun s'en pense fort bien pourvu et pour preuve le nombre d'amis qui ont acheté ce livre en masse pour l'offrir et ainsi se poser en champions de l'indignation à peu de frais. Mais avouons le, nous sommes loin avec les cadeaux de fin d'année du Conseil national de la résistance.

Ou plutôt s'il y a une indignation essentielle, sans doute la plus dangereuse de toutes parce que la plus valeureuse, c'est celle qui consiste à s'indigner contre soi-même.
S'indignez contre soi-même, que cela est difficile sans sombrer dans le pathos ! Et pourtant existe-t-il une autre voie ? L'indignation n'a de sens que si son premier objet est chacun de nous, pas l'israélien, pas le palestinien, cela est trop facile et ne change en fait pas grand chose !

Ne pas s'indigner et voilà que l'indifférence nous guette; s'indignez et voilà que la culpabilité nous guette.
Mais la grande leçon ou plutôt le grand espoir que donne Hessel c'est le lien qu'il crée entre l'indignation, la résistance et la créativité. C'est ce lien qui permet de passer de l'indignation contre l'Autre à la révolte contre notre indifférence, de la culpabilité à la responsabilité, et de la passivité à la prise de position avec engagement.


Au titre de Hessel « Indignez-vous ! » je préfère le mot de la fin « créer c'est résister », là oui il y a de la puissance, celle dont Hessel a fait preuve tout au long de sa vie. Cependant imaginez un instant ce titre « Créer c'est résister » à la place du mot d'ordre « Indignez vous ! » qui fait écho au sentiment communément partagé et qui ne change rien, et les ventes n'auraient jamais atteint les sommets. Il est peut-être là le scandale qu'il faut dénoncer, celui qui nous fait plus facilement acheter les bons sentiments que les mises au travail et les remises en question. De cela nous en sommes tous collectivement responsables !

A monsieur Hessel nous aimerions dire à la fois bravo et merci, mais aussi lui poser une question peut-être indiscrète mais qui est pourtant celle du fond philosophique sur lequel repose sa thèse : « Et si c'était à refaire, quelles sont les indignations que vous manifesteriez à votre égard ? »

Il nous faut aussi rendre hommage à l'éditeur qui n'a pas eu peur de mettre sur le marché un produit décalé et non conformiste avec une simple brochure agrafée composée d' un petit texte de 16 pages à 3 Euros , un bel exemple aussi de créativité et de résistance au dictat du marché !

Yannick Breton
madamedub
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le 3 mars 2011

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