Caracolons sur la pointe du cœur à la crête des vents
Alors. Oui. Hum. Comment dire ?
Après 10 pages, ça augurait déjà du meilleur.
Après 30 pages, ce n'était plus un augure.
Après 60 pages, j’étais complètement ferré.
Après 100 pages, le 9 était acquis, et seul un ou deux détails me retenaient de viser le 10.
Et puis les digues ont lâché, j’ai été emporté par un vent contraire qui m’a fait remonder, au sein de la horde, paradoxalement sans effort, harnaché parmi les crocs. Poser le bouquin dix minutes me donnait envie, sévèrement, éperdument, de le reprendre et de contrer encore. A deux heures du matin, il s’agissait d’avaler encore un paragraphe et puis, bon, ça irait, hein… Et puis encore un, et puis encore un, et le chapitre suivant était un appel d’air monumental, un siphon, alors – moi je ne suis pas un hordier – je suivais. J’ai beau aimer lire, j’ai rarement cette faim-là, inextinguible. Alors merde aux détails, ce 10 j’ai même envie d’en faire un 11.
Comment ne pas être conquis par l’univers ? L’espace de ces 700 pages que l’on remonte, on le comprend, de mieux en mieux, on le voit s’ériger, on en admet la violence, les idéaux, la cosmogonie, les coutumes, les dangers, la science, le mysticisme, la candeur, l’ineptie. Ce n’est pas qu’on l’imagine ; on est dedans.
Bien sûr, au-delà de l’univers, au-delà même de la maestria du tissage de l’aventure, au-delà de leur magie, au sens propre comme au figuré, deux éléments intimement liés rendent l’épopée exceptionnelle : la polyphonie et l’écriture.
L’écriture parce que tout est ciselé, c’est un texte serti de joyaux. La Horde du Contrevent exsude une personnalité propre, une originalité nette. D’aucuns trouvent le style d’Alain Damasio difficile, voire prétentieux : je ne peux pas être d’accord. Exigeant si vous voulez, mais tellement beau souvent, poétique régulièrement, si bien circonscrit que l’agencement des mots en soi crée le monde autour, toujours.
La polyphonie parce que la narration, partagée entre les vingt-trois hordiers, en prend toute son ampleur. Savoureux, jubilatoire. Chaque personnage a son phrasé, souvent des tics d’écriture qui en disent long sur son rapport au monde et aux gens, sa vision du monde et sa consistance mise à rude épreuve sous les rafales des furvents. L’histoire, déjà bien développée, s’élève ainsi encore et va tutoyer les muages. Plusieurs points de vue, c’est une plus grosse épaisseur, c’est une vision panoramique de la bande de Contre où évolue la horde, c’est une manière de rappeler que chacun vit sa vie et non celle des autres, avec ses doutes, ses joies, ses envies, ses convictions, ses suppositions. Que si les pierres angulaires des histoires de Sov, le scribe, et de Golgoth, le traceur, sont identiques, le reste est affaire de perception. Enfin, il faut le dire, j’ai aimé Sov et Caracole, le troubadour – et cette joute ! cette joute bordel !
Pour être passé par là, je sais que cette polyphonie peut faire peur avant de se lancer dans la lecture. Chaque paragraphe est précédé d’un sigle représentant un membre de la horde, mais comment les reconnaître sans passer sa vie à regarder le marque-page qui les répertorie ? En réalité, ça va beaucoup plus vite qu’on ne pourrait le craindre, précisément grâce à leurs personnalités qui les font naître en chair entre les mots : sans me forcer, après 50 pages je connaissais plus de la moitié de la horde – les sigles qui reviennent régulièrement plus quelques autres –, et après 100 pages tout était limpide.
La Horde du Contrevent, c’est le premier livre depuis longtemps qui m’a vraiment, complètement, fait rire et sourire, trembler et suer de tension, piaffer d’impatience, laissé apathique, et je pense que c’est le tout premier bouquin qui m’a fait verser une larme.
Si tu ne l’as pas encore lu, je ne sais vraiment pas ce que tu fous encore ici. Cours l’acheter.