Un roman simpl... iste ? (Avertissement au lecteur : une bonne dose d'ironie dans cette critique)

Soyons clairs : j'ai éprouvé beaucoup de plaisir à lire Le Cercle littéraire... (précisons au passage que la traduction française du titre original est une aberration). C'est certainement ce qu'on attend d'abord d'un livre. Donc je suis honnête, je lui mets la moyenne. C'est amusant, distrayant, émouvant, ça donne envie de sourire et parfois de pleurer... Mais il y a d'innombrables défauts, et je me sentirais également malhonnête de les occulter.

Car Le Cercle littéraire... est un roman simpliste, oui, tout à fait. Manichéen, moralisateur, irritant, naïf, et en plus recommandé par Anna Gavalda, indice s'il en est qu'il faut être méfiant lorsqu'on le lit. Procédons point par point :

-Tous les personnages ont le même humour et la même façon d'écrire (sans compter les rares fautes d'expression qui font bien pour montrer l'authenticité du personnage, à moins que ce ne soit - et c'est probable - une erreur de traduction). La vieille fille qui fabrique des potions douteuses et qui vit sur son île avec sa chèvre et son perroquet écrit aussi bien que l'écrivain(e) (je n'ai toujours pas choisi entre "écrivain" et "écrivaine" pour une femme) qui est l'héroïne du livre, Juliet. Extrêmement crédible. Pour l'humour, bon, c'est drôle au début, et puis après c'est quand même un peu agaçant, cette espèce de tendresse légère omniprésente chez les personnages principaux.
-L'amour des livres. OUI LES LIVRES C'EST LE BIEN. Qui dirait le contraire ? Mais cette espèce de folie furieuse de la littérature en mode "sauvons les livres du feu quitte à mourir brûlés vifs" est totalement caricaturale et passée de mode. Nous sommes dans un monde bisounoursesque où les livres sauvent les gens, et évidemment les grands livres, pas les petits romans de gare. Tant d'idéalisme me donne envie de vomir. Je veux bien croire que les livres soient une des seules consolations restantes quand on est en guerre, mais cette passion brusque et générale des personnages pour Sénèque ou les soeurs Brontë me semble légèrement exagérée. L'apologie de la lecture est une noble mission, mais quand elle vire à la mission de conversion à coup de bons sentiments, je me sens dégradée dans ma fierté de littéraire.
-Le monde des bisounours. Oui, venons-y. Il y a les bons, ceux qui s'occupent avec un amour sans failles et une douceur mièvre de la pauvre petite orpheline Kit, ceux qui aiment parler littérature, ceux qui mènent une vie simple à l'écart des projecteurs, ceux qui sont gentils tout plein et qui aiment tout le monde - et puis il y a les vilains, l'homme riche et hautain qui harcèle l'héroïne pour l'épouser, la méchante et grossière frustrée pour qui les livres c'est le mal et Dieu va vous sauver, le vil journaliste qui répand les pires calomnies sur le dos de notre merveilleuse héroïne... Tout est blanc ou noir, il n'y a pas de juste milieu. C'est réconfortant comme monde, mais c'est pauvre.
-La morale. Evidemment tout le monde est croyant, hein, y a aussi des gentils paroissiens, parce que quand même Dieu, voilà, hein, c'est bien. J'exagère, parce que finalement on n'en parle pas beaucoup... Mais encore une fois on voit combien être pieux c'est bien, ça aide, et puis ça fait des gens vraiment biens, on peut compter sur eux, ils sont gentils. Un brin de dérision appréciable tout de même dans la revêche Miss Addison dont je parle à demi-mot juste au-dessus : à force de parler de Dieu tout le temps, elle se noie dans un babillage abscons dont tous les gentils se moquent. Et dont elle est punie, elle se fait gifler, d'ailleurs tous les méchants se font gifler dans ce livre - la méchante kapo, et la méchante fausse secrétaire. Mais je dois encore nuancer : tous les Allemands ne sont pas méchants... Non, on pourrait croire à de la subtilité, mais même pas - car l'Allemand est soit méchant et nazi et violent, soit gentil et antinazi et généreux.
-L'amour. Sujet mineur du livre, certes, mais encore une fois claire division entre les soupirants, et bien sûr l'héroïne est un peu bête (et elle en rit parce qu'elle le sait, c'est déjà ça), donc comme une adolescente de 14 ans elle ne réalise pas qu'en fait son véritable amour c'est cet homme mystérieux et tellement différent des autres, et surtout de Mark, le beau riche hautain qui veut faire de Juliet une femme d'extérieur à arborer dans les soirées huppées, hihihihihi. Et quel twist final ! Je vous laisse découvrir.
-C'est irritant. Ce que je viens de dire ne vous suffit pas ? Ces pauvres gens gentils qui vivent sur une île coupée du monde pendant l'Occupation, et qui racontent leurs déboires à grands renforts de livres et de souvenirs calibrés pour montrer combien la guerre c'est mal ? Cet amour insatiable qui lie les gentils entre eux ?
-Oh, et dans le manque de crédibilité, cette faculté incroyable qu'ont les personnages correspondant avec Juliet de ne jamais répéter ce que les autres ont dit, alors qu'ils ont vécu la même chose et qu'ils ne savent pas dans le détail ce que les autres ont dit. C'est vraiment fou. Ca doit être une sorte de double-vue. Vous me direz, c'est un roman - je vous dirai que la règle depuis Aristote est qu'une oeuvre littéraire doit être cohérente (vous aurez le droit de me dire que je suis vieux jeu, et je vous répondrai que vous avez raison mais que mon point de vue se défend et qu'on trouve ça dans toutes les oeuvres dites grandes), et qu'en plus si la construction de l'oeuvre était plus subtile ça pourrait passer, mais pour toute cette partie du moins ce n'est pas le cas.

Mais je m'emporte. Alors que le roman fut agréable à lire. Tout le tragique est là : c'est beau, mais c'est con. (Pardon.)
Les points positifs, quand même, outre ce dont j'ai parlé au début de ma critique ? Le sens de l'anecdote des auteurs, qui débordent d'imagination pour rendre le récit un peu plus réaliste. Le caractère épistolaire, original, qui finit cependant par se perdre un peu. La construction parfois habile - parfois moins. Le titre, qui est fait pour intriguer - et ça fonctionne. Les touches historiques qui ajoutent un peu de gravité à l'oeuvre et qui sont instructives, car je pense qu'elles sont vraies, au moins en grande partie.
Pour conclure : si on vous l'offre, lisez-le pour vous faire votre propre opinion. Sinon, ne l'achetez pas, ou alors achetez-le si vous voulez un peu de douceur dans ce monde de brutes.

PS : depuis quand "Remy" est un nom féminin français ? Ah, ces Américains...
Eggdoll

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