Attention, je spoile, c'est mon truc, et ne me demandez par pourquoi je ne souhaite pas le cacher.


Pour la petite histoire, si vous n'êtes pas amateur du style gothique, Oscar Wilde est le petit neveu de Charles Robert Maturin, auteur du célèbre Melmoth, l'Homme Errant, qui s'ouvre sur la description d'un tableau horrifiant. Tiens, tiens... Oscar Wilde n'a jamais souhaité masquer son influence et son inspiration, l'on ne lui imputera donc pas le fait d'avoir emprunté l'idée du tableau comme pivot de son seul et unique roman.


L'inspiration première s'arrête ici, car en effet les styles de ces deux auteurs n'ont rien de comparable. Oscar Wilde, à l'aide de moins de parenthèses et d'histoires imbriquées les unes dans les autres, d'une écriture moins alambiquée, d'un rythme plus soutenu, et surtout de moins de longueurs, parvient à nous livrer quelque chose de bien construit, de cohérent, et de fluide. Le livre se lit très bien, en deux ou trois jours, ne nécessite qu'une bonne traduction, car ayant réussi à trouver des fautes d'orthographe, et parfois assez grosses, je conseille un minimum d'attention sur le sujet.


Vous me direz que c'est être chiant ? Yes, I am.


Le portrait de Dorian Gray s'ouvre sur une trilogie de personnages aussi dissonants que ressemblants. Quelque chose les relie, autant que les divise. Dorian et son ingénuité, Harry et son approche cynique et blasée de la vie, et pour finir la sagesse et droiture insipides de Basil. L'intrigue, assez bien conçue, mais cependant très minimaliste, est très au-delà de ce que certains réalisateurs cinématographiques ont eu le cran, l'audace et l'impudeur de porter à l'écran. Pauvre, pauvre Oscar Wilde, se répètera-t-on, tout au long de l'oeuvre.


Malgré un aspect fantastique qui piège l'âme de Dorian dans la toile, ce livre est loin de vouloir trôner aux côté des Dracula, créature de Frankenstein, ou autres oeuvres de loups-garous. Si l'on excepte la promesse mystique qui amène l'intrigue, Le portrait de Dorian Gray relève davantage de la critique acerbe du XIXème siècle, de la société Britannique et de ses bonnes morales. Cela nous amène à un point crucial de l'oeuvre, qui, après avoir lu rapidement ce que d'autres critiques en ont pensé, m'étonne de par son absence : la critique du Dandysme.


Le Dandysme est au XIXème siècle ce que les mondanités contemporaines sont pour nous aujourd'hui. Il est ici un point crucial de l'oeuvre et de sa critique contemporaine. L'auteur, à travers Lord Henry, expose toute sa diatribe et sa pensée, reléguant parfois ce personnage au rang de faire valoir et de prétexte à cette exposition, qui est parfois maladroite ou amenée quelque peu grossièrement.


Le style d'Oscar Wilde n'est plus à vendre : pléthore d'aphorismes excitant les anarchistes, critique de la morale, refus des règles, abolition des valeurs autour des moeurs, tout est décrit dans un contexte linéaire et ennuyeux qui met en paradoxe total la sagesse folle et libertaire de Lord Henry, lassé de ces schémas.


Ce Lord faisant partie de la haute Société, ne pourrait-on y voir la volonté d'Oscar Wilde d'adresser un message fort à celle-ci, en exprimant peut-être sa volonté de voir sortir des gens de qualité du carcan nauséabond des valeurs morales, et apporter quelque chose de neuf dans ces codifications sociales puantes et pénibles ?


Mais n'allons pas croire Henry si différent. Après tout, n'organise-t-il pas lui-même des réceptions ? N'est-il pas lui-même l'un de ces dandys, qui, à force de laisser l'autre libre, finit par divorcer, sa femme le quittant, cynique car raillant à tout va, et finalement bien fatigué, car la critique abusive nuit au coeur de l'Homme ? Ne lit-on pas une certaine tristesse, lorsqu'à la fin du livre, Dorian lui joue Chopin et des Nocturnes ? La liberté doit-elle être égoïste, au mépris des êtres aimés et seulement pour amuser un certain auditoire, plus nauséabond, encore ? La vérité, nous semble dire cette situation, se situe dans le juste milieu. La liberté s'éprouve et s'expose sans doute, comme le fait Lord Henry, mais jamais sans conséquences, spécialement lorsque c'est pour conférer un piment égoïste à une vie dont on est déjà blasé. Je pense surtout que tant que la liberté est appréhendée telle un concept -surtout celui d'anarchie- , elle ne sera jamais vraiment Liberté.


Ce qui me fascine dans l'oeuvre de Dorian Gray est également cette relation de Maître à Disciple, élevant Dorian Gray depuis on innocence, au rang d'ami de Lord Henry, faisant de lui son égal, dans la jouissance des plaisirs des sens. Lord Henry n'incarne-t-il pas finalement le futur de Dorian Gray, s'il n'avait pas formulé le voeu de conserver pour toujours cette beauté étrange et si parfaite ?


Enfin, le dernier aspect, et non le moins intéressant est cette capacité qu'à le tableau de mettre en évidence un Dorian qui peut observer son âme et la portée de ses agissements à la troisième personne, et ainsi mesurer les conséquences directes sur celle-ci. Nos actes seraient-ils différents si nous pouvions, nous aussi, mesurer directement sur un marqueur, la laideur (ou la beauté) de ceux-ci ? Et si nous oeuvrions à la rendre belle, le ferions-nous par l'égoïsme et la peur de ne pouvoir obtenir la rédemption ? Par peur de ne pas pouvoir s'assurer une suite après la mort ?


L'ouvrage pose évidemment la problématique de la beauté éphémère et également met en contraste, la beauté physique contre la laideur morale. C'est quelque chose de très bien amené et que le scénario aurait davantage pu développer. Nous avons droit à la beauté extérieure ici, et non la classique intérieure.


La fin n'est clairement pas à la hauteur de l'oeuvre, ou disons plutôt, aurait pu comporter plus de panache, mais peut-on en vouloir à Oscar Wilde d'abréger ainsi subitement son manifeste libertaire ? N'allez surtout pas passer à côté de l'oeuvre pour une fin si abrupte. L'intérêt de lire un tel livre relève de son contenu et de son expérience, en elle-même, et pas de sa terminaison. Cela dit, je peux comprendre que l'expérience elle-même ne plaise pas (ou que l'on passe à côté... chose fort possible.) La réalité est certainement que nous aurions aimé voir Dorian Gray vivre pour toujours, ce qu'aucun être ne pourra jamais faire : échapper à la mort. L'auteur met à mort cet éternel fantasme de l'être humain, et la fin s'abat sur le lecteur avec une rapidité inouïe, subite et brutale. J'ai adoré ce jusqu'au-boutisme, pour moi, il ne pouvait en être autrement. J'aurais simplement préféré voir lentement et progressivement Dorian se dégrader au fur et à mesure.


Ayant lu cet ouvrage à mes trente huit ans, âge auquel Dorian Gray achève sa destinée, je n'ai pu que sourire et apprécier cette oeuvre dans un contexte particulier.


La fin laisse songeur et dégage aussi cette question intrigante, de se référer à ses propres agissements.. Notre vieillesse est-elle à l'image de nos actes, et de l'esprit que nous avons entretenus toutes notre vie ? Même en quête de rédemption, est-il possible de faire évoluer le tableau dans l'autre sens ? Notre corps porte-t-il les marques des avilissements et des agissements de nos âmes , qu'ils soient les meilleurs ou les pires ?


Désespéré et abreuvé de toutes les sensations possibles et existantes, rassasié des ses sens jusqu'à l'agonie, le héros nous livre la réponse en fin d'ouvrage, en se libérant lui-même.


Une oeuvre singulière, libertaire, et certainement un énorme pavé dans la mare de son époque de dandy...

Zhenwu
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le 8 sept. 2016

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Zhenwu

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