"Le sermon sur la chute de Rome", (Actes Sud, 2012) est le premier livre de Jérôme FERRARI que je lis. Etrange écriture que ces constructions de longues phrases, 'virgulées' à souhait pour permettre une respiration, un retour en arrière, un arrêt sur image, une interrogation quant au sens exact de ce qu'elles veulent dire. Lecture complexe donc, à l'image, peut-être, de la prétention que certains auront du mal à pardonner à Jérôme FERRARI (Goncourt 2012) qui nous entraîne, à la fois, dans deux, voire trois, histoires et dans une réflexion métaphorique sur la fin de toute construction humaine.


Les histoires, croisées tout au long du récit, sont belles. Tristes, mais belles parce que humaines! Marcel, né en 1918, à la fin et le début d'un monde. Il n'a rêvé que d'existence hors de sa Corse natale, il a voyagé mais c'est au pays qu'il termine sa vie dans une amer combat contre la destruction de son propre corps. Avec son ami Libro, issu d'une famille de paysans corses, Matthieu, petit-fils de Marcel, étudie la Philosophie à Paris. Pour des raisons différentes, ils abandonnent leurs études et retournent dans leur Corse d'origine pour, au coeur d'un trou perdu situé au milieu d'à peu près nulle part, transformer un modeste débit de boissons en "meilleur des mondes possibles" voulant, par là, se montrer fidèles aux enseignements de Leibniz. Et puis, troisième histoire, celle de Aurélie, la soeur de Matthieu qui n'a jamais pu vraiment trouver trouver le lieu où vivre un amour et qui, finement, analyse les relations et tensions qui président aux destinées de la famille et trouve sa place auprès du Grand-Père.


En plus de l'histoire, qui sent bon le choc entre le côté rugueux des paysans montagnards et la versatilité d'une certaine jeunesse 'citadine', il y a, dans ce "Sermon sur la chute de Rome", une réflexion philosophique sur toute construction humaine. Faisant constamment allusion aux écrits de St Augustin tâchant de faire comprendre que la chute de Rome n'était somme toute que la fin d'un empire devant en annoncer un autre, une construction humaine devant, par essence même, avoir une fin, l'auteur, dans cette relance d'un café au coeur d'un village qui se meurt, métaphoriquement souligne la même réalité philosophique. Un temps se meurt, l'Homme relance, un nouveau monde se crée, se développe, atteint son apogée, se détruit et meurt... Il en va de même pour les différentes histoires d'amour des personnages. L'homme n'est pas dieu. Même s'il se croit démiurge, capable de créer quelque chose d'important, d'unique et d'éternel, il ne fait que de jouer sa partition au sein d'une histoire qui le dépasse, qui a commencé avant lui et lui survivra.


En équilibre entre l'histoire et la réflexion, comme lecteur j'ai avancé dans le récit, me suis perdu, retrouvé. J'ai partagé certains points de vue de l'auteur, en ai rejeté d'autres ... mais, toujours, j'ai été pris par ce roman. Et même si l'écriture est quelque fois énigmatique, difficile à suivre, et dans son rythme, et dans ses références... j'ai apprécié les idées émises avec justesse, pertinence et, parfois, drôlerie.

François_CONSTANT
6

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le 9 sept. 2015

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