Philippe, un papa qui vous veut du bien.

«Aussi rapidement que certains attrapent un rhume, Philippe Pontagnier se retrouva orphelin. Exaspéré par les velléités culinaires de ses parents et leur quête dominicale d’une nouvelle auberge où se goinfrer, il avait refusé ce jour-là de les accompagner. Bien lui en prit, vu l’état de la voiture agonisant dans un ravin de coquelicots vermillon.»

Décapant et drôle dès la première phrase, le deuxième roman de Francois Blistène, paru en mars 2014 aux éditions du Sonneur, met en scène un misanthrope psychopathe parfaitement haïssable, mais rempli de bonnes intentions envers ses enfants – «à condition qu’ils ne le déçoivent pas».

Se retrouvant soudain orphelin et à la tête d’une fortune confortable, Philippe Pontagnier se coupe du monde, de cette humanité qu’il abhorre, organisant son retrait avec le soin obsessionnel qui le caractérise, dans sa propriété isolée de tout. Rêvant d’engendrer des êtres parfaits à son image, détachés des divertissements et des exaltations futiles et détestables, il sélectionne une épouse reproductrice et entreprend de façonner le destin de ses trois enfants, et de leur ôter toute envie de sortir de la maison, personnage central du livre.

«Pontagnier leur fit croire un moment qu’une guerre impitoyable se déroulait dehors et qu’ils seraient exterminés s’ils montraient un seul bout de leur nez. Cette version les impressionna beaucoup, modéra leur intrépidité et les conforta dans un certain conservatisme propre aux jeunes. D’autant que Pontagnier poussa son avantage en leur montrant des gravures illustrant le massacre de la Saint-Barthélemy et des reproductions de tableaux de Jérôme Bosch. Les enfants s’interpellèrent plusieurs nuits pour vérifier qu’ils étaient toujours en vie et que l’ogre n’était pas encore venu.
Il serait là bien assez tôt.»

Les enfants ne connaissent ni leur lieu de résidence ni leur nom de famille, tout ce qui leur fournirait des repères par rapport au monde contemporain ayant été éradiqué dans cette maison. Hélas pour leur géniteur, les trois bambins mettent un jour la main sur un disque d’Elvis Presley et commencent à soupçonner en l'écoutant que le monde extérieur n’est pas aussi monstrueux que la peinture qu’en a fait leur père. «Bibopaloula.»

Francois Blistène est un excellent conteur, et ce drame parodique, jonché de phrases comme des cailloux blancs qui en annoncent l’issue, est très divertissant, essentiellement grâce à ce monstrueux personnage de père, fou obsessionnel, rêvant de recréer et de transmettre un monde sans humanité.
MarianneL
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le 25 juil. 2014

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