J’ai rêvé que j’avais lu un livre.

Dans la station balnéaire de R., «tombée en désuétude bien que d’inspiration moderne», les journées de M., le narrateur, et de ses amis, Joao, Ray Mayo et Lucio, semblent s’enliser dans des heures trop chaudes, dans un espace connu qui brutalement se dissout, entre l’océan et le désert dont soudain semblent sourdre des menaces diffuses.

Accablés de chaleur, ils partent dans le désert chasser les raies des sables, et se retrouvent en ville, égarés et flottants, se rassemblant toujours au café «Zanzibar», devant des bières et des fritures de poulpe – le seul espace familier et stable du récit. A l'instar des mirages aux apparitions de plus en plus fréquentes aux limites de la ville, dont ils sont les témoins, les projets de M. - écrire, lancer une revue de poésies électroniques – lui coulent entre les doigts comme des poignées de sable.

«J’ai l’écho diffus d’une anesthésie qui me gagne moi aussi pas à pas. Je ne sens pas que quelque chose est tapi qui va découdre l’univers plaque à plaque.»

Visions nées de la rencontre avec «Vermilion Sands» de James Graham Ballard, Manuel Candré fait se lever dans ses lignes un univers aux dimensions instables, une succession de somptueuses peintures mentales. Et dans l’égarement de ces rêves éveillés, même les couleurs du monde semblent désorientées.

«J’ouvre les rideaux, éloignant les pans jumeaux, et prends aussitôt le souffle mandarine en secousses alternées. La pièce – je me retourne à cet instant après avoir récupéré – baigne en majesté pourrie. Je regarde par la fenêtre, les arbres, tout a pris la couleur de l’air saturé. Au loin, l’océan tire sur le violet, respire calmement son chant sombre.»

Il faut accepter de s’abandonner à cette narration hypnotique. "Le portique du front de mer" semble se dissoudre dans sa propre lecture, un livre évanescent, semblable à un mirage.

«J’entends le vent. Mes amis. Ils sont encore là pour la plupart. Mais ils vont bien finir par disparaître car c’est ce que je fais toujours. Je fais disparaître mes amis. Je les dissous dans des récits. En posant des univers que je regarde s’effondrer.»
MarianneL
7
Écrit par

Créée

le 20 janv. 2014

Critique lue 336 fois

1 j'aime

MarianneL

Écrit par

Critique lue 336 fois

1

D'autres avis sur Le portique du front de mer

Le portique du front de mer
MarianneL
7

Critique de Le portique du front de mer par MarianneL

J’ai rêvé que j’avais lu un livre. Dans la station balnéaire de R., «tombée en désuétude bien que d’inspiration moderne», les journées de M., le narrateur, et de ses amis, Joao, Ray Mayo et Lucio,...

le 20 janv. 2014

1 j'aime

Du même critique

La Culture du narcissisme
MarianneL
8

Critique de La Culture du narcissisme par MarianneL

Publié initialement en 1979, cet essai passionnant de Christopher Lasch n’est pas du tout une analyse de plus de l’égocentrisme ou de l’égoïsme, mais une étude de la façon dont l’évolution de la...

le 29 déc. 2013

36 j'aime

4

La Fin de l'homme rouge
MarianneL
9

Illusions et désenchantement : L'exil intérieur des Russes après la chute de l'Union Soviétique.

«Quand Gorbatchev est arrivé au pouvoir, nous étions tous fous de joie. On vivait dans des rêves, des illusions. On vidait nos cœurs dans nos cuisines. On voulait une nouvelle Russie… Au bout de...

le 7 déc. 2013

35 j'aime

Culture de masse ou culture populaire ?
MarianneL
8

Un essai court et nécessaire d’un observateur particulièrement lucide des évolutions du capitalisme

«Aujourd’hui il ne suffit plus de transformer le monde ; avant tout il faut le préserver. Ensuite, nous pourrons le transformer, beaucoup, et même d’une façon révolutionnaire. Mais avant tout, nous...

le 24 mai 2013

32 j'aime

4