Othello
7.9
Othello

livre de William Shakespeare (1604)

Tout dans la pièce d'Othello évoque la guerre, celle de Venise contre les Turcs, de conquête dans le bassin méditerranéen, une guerre de religion entre l’Orient et l’Occident, mais également une guerre faite contre soi-même ou contre l'autre quand il devient l’étranger qu’il faut anéantir. Iago, blessé de ne pas avoir été choisi comme enseigne d’Othello, va utiliser les blessures des autres personnages : celle de Roderigo amoureux de Desdémone, et de Brabantio, le père de la jeune fille qui ne peuvent accepter le fait qu’elle ait épousé le Maure; mais également la blessure physique du gouverneur Montano qui essaie de séparer Cassio et Roderigo, pour mettre en place dans cette scène le plan pour détruire Othello.
Comme dans l’autre pièce de Shakespeare Beaucoup de bruit pour rien, c’est par les mots que tout se fait dans Othello, il séduit Desdémone grâce aux récits de sa vie, il construit sa vie grâce à cela ; il est d’ailleurs été nommé gouverneur après une victoire où il n’a même pas eu à combattre, il arrive à convaincre les sénateurs grâce à l’élégance de la parole; et Iago entends le détruire avec les mêmes armes, mais chacun des deux personnages a une conception différente de celles-ci. Othello perds quand il est contraint de frapper Desdémone et qu’il ne veut plus discuter avec les sénateurs. C’est donc avec la parole comme arme que Iago entreprends de terrasser Othello, il lui insuffle alors le doute, l’idée que Desdémone aurait pu le tromper, de surcroit avec Cassio, son homme de confiance.


Cette pièce illustre le pouvoir de la parole capable de briser un amour que ni l’hostilité sociale du fait du statut d’étranger d’Othello, ni la guerre, ni la tempête qui menace d’engloutir son navire n’avait su ébranler. Grâce à cela Iago détruit complètement le personnage d'Othello ainsi que tout ce qu'il représente. En effet il est le tenant d’une pensée du Moyen Age basé sur la foi, il est issu du monde de la chevalerie aux valeurs bien définies auxquelles on croit sans se poser de question. Iago au contraire appartient à un monde nouveau, celui de la Renaissance dont la pensée est basée sur le savoir, où les doutes et le questionnement viennent ébranler les certitudes, il ne faut pas seulement croire, mais savoir, obtenir des preuves et saisir la réalité dans son ensemble. Or pour Othello, quelqu’un qui a l’air honnête l’est sans aucun doute, alors que le comportement même de Iago nous prouve que le contraire est possible, le personnage ne supporte pas le fait d’être dans le doute, il lui faut des certitudes sinon il est perdu. Les deux personnages ont une conception différente de la parole, pour Othello celle-ci est sacrée, elle ne peut refléter que la pensée, il est incapable d’imaginer que Iago puisse lui mentir, tandis que ce dernier est bien conscient du pouvoir de la parole, il sait bien que parole et pensée sont bien distinctes.
Mais on peut toutefois s’interroger sur la naïveté d’Othello, Iago a-t-il modifié son mode perception ou lui a-t-il simplement révélé quelque chose qu’il pensait déjà ? Quand Iago lui dit : « Oh ! Prenez garde, monseigneur, à la jalousie ! C’est le monstre aux yeux verts qui produit l’aliment dont il se nourrit ! ». On ne sait pas qui de la jalousie ou du jaloux est vraiment le monstre, est-ce que Iago transforme Othello en monstre ou ne fait-il que le révéler.


Une autre caractéristique d’Othello est son interprétation du mal, dans le couple Iago/Othello. On peut voir, comme le décrit Victor Hugo dans son essai William Shakespeare deux représentations de l’ombre. Iago c’est le monstre, le mal incarné, on ne connait pas vraiment de raison à sa méchanceté qui se déclenche du jour au lendemain, il en donne plusieurs : son amour pour Desdémone, la crainte qu’Othello l’ait rendu cocu, sa jalousie pour Cassio, ou encore son désir de vengeance mais rien n’est véritablement élucidé, on ne sait si ce sont des raisons du mal qui le rongent, ou simplement des prétextes qu’il se trouve.
Le portrait d’Othello est cependant beaucoup plus subtil. Si on l’assimile souvent comme la victime tragique de la pièce avec Desdémone, il n’est pas le crétin exotique que Iago voit en lui. Il ne prend pas totalement pour argent comptant les informations que celui-ci lui donne, il lui faut des preuves ; et il sait également au fond qu’elles sont fausses ce qui accroit la violence et renforce le tragique de la pièce. Ce qu’il y a d’intéressant chez Othello c’est justement que le spectateur ne peut pas vraiment savoir à quel point il est au courant de la vérité, si au fond de lui il ne veut pas tout simplement ne pas voir que Iago lui ment. Victor Hugo définit Othello en l’opposant et en le complétant à Iago, ce sont les deux faces complémentaires de l’éclipse : « A côté d’Othello, qui est la nuit, il y a Iago, qui est le mal. Le mal, l’autre forme de l’ombre. La nuit n’est que la nuit du monde ; le mal est la nuit de l’âme ». La parole n'est donc pas une épée, mais comme le dit Iago, un poison qui ravage tout sur son passage, qui nécessite une réaction avec le mal présent à l'état latent chez Othello.
Mais Othello se définit également par rapport à Desdémone qui elle par sa blancheur représente le jour. Il est alors logique que ce soit Othello, qui représentant la nuit, emporte Desdémone, non pas par l’épée d’ailleurs mais par l’oreiller, il cache alors aux étoiles son crime odieux, une façon d’assombrir encore la nuit. Ce qui est l’occasion d’une représentation tragique de l’amour,car il préfère voir en Desdémone une menteuse, une « putain » qu’une femme chaste, voilà pourquoi il n’écoute pas ses arguments, pourquoi il a préféré se débarrasser de Cassio sans même avoir écouté sa version des faits. La faiblesse d’Othello contrairement à celle de Cassio qui est celle de l’alcool est très difficile à cerner. Il est au sommet de sa vie à la fois politique et sentimentale et donc il peut dès alors commencer son autodestruction.


Le fait d’étouffer Desdémone a aussi une symbolique importante en ce qui concerne la parole. En faisant ça il étouffe également la voix de la jeune fille. La parole si forte dans la pièce est dans la dernière scène complétement impuissante. Othello ne veut pas entendre les arguments de Desdémone, il répond à côté. Ce qui renforce sa culpabilité, on est là parfaitement dans ce que Jean-Pierre Vernant définit pour les tragédies antiques d’ « innocence coupable ». La différence serait qu'ici la malédiction qui pèse sur les hommes n'est pas de nature divine, mais est bien due à la médiocrité des hommes.

Ano
8
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Créée

le 3 mai 2014

Modifiée

le 1 mai 2014

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