“J’avais rêvé de villes au loin dans la plaine.”

Anthony Poiraudeau arpente et raconte El Quiñon, énorme champignon de béton surgi de terre dans les années 2000, ville nouvelle édifiée au cœur des terres arides au sud de Madrid, un raz de marée bâti stoppé net par la crise de 2007, et il dresse le portrait de son bâtisseur mégalomane, Francisco Hernando dit El Pocero, histoire emblématique de la voracité inépuisable du système capitaliste et de l’aveuglement qui l’entoure.

L’histoire de cette crise est connue maintenant (ce qui ne suffira pas à prévenir sa répétition) : le mirage d’une croissance infinie et autarcique des prix de l’immobilier soutenu par les banques qui facilitaient l’accès au crédit, et, en Espagne notamment, par une corruption apparemment incontrôlée des élus et décideurs pour transformer les terres agricoles en terrains constructibles, jusqu'à l’effondrement de 2007.

El Quiñon, immensité bétonnée construite entre deux autoroutes, qui promettait une vie idéale en quasi-autarcie dans des tours pourvues de toutes les installations nécessaires (piscine, centres commerciaux, etc.), ville restée quasiment inhabitée et curieusement envahie d’effluves marines qui lui donnent un parfum de station balnéaire abandonnée, semble directement sortie des romans de J.G. Ballard, une vision hélas bien réelle, racontée et photographiée dans ce «Projet El Pocero».

«El Quiñon ressemble à un avant-poste hermétique implanté sur une planète reculée, qu’on aurait chargé de tester les possibilités d’une vie urbaine à la terrienne sur ces contrées méconnues. L’imagination n’a guère à altérer les perceptions des lieux pour consentir à cette transposition outre-espace. La soudaineté du surgissement de la ville, la violence du contraste qu’elle oppose aux placides ondoiements d’herbe et de terre qui l’entourent, la radicale fermeture sur elle-même font d’El Quiñon une forme urbaine crédible pour une telle science-fiction. Son éloignement aussi : El Quiñon est lointain, il résiste à la proximité, même lorsqu’on s’en approche.»

Avec cette vision obsessionnelle d’El Quiñon et de son concepteur mégalomane, Anthony Poiraudeau nous rappelle «L’usage des ruines» de Jean-Yves Jouannais, la ville inachevée et déserte semblant être les ruines déjà advenues de la guerre économique, de la folie capitaliste et de la spéculation.
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le 16 janv. 2014

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