Le titre aurait pu être "Réflexions sur le problème juif".
Et le problème fondamental soulevé par Sartre, le problème insoluble du Juif authentique ou assimilé, le problème du Juif qui englobe tous les autres sans jamais pouvoir être réduit à néant est le suivant : le Juif est juif. Autrement dit, quelles que soient ses impulsions vitales, ses opinions, ses fréquentations, le Juif aura toujours sa "juiverie" dans la peau. Comme une "maladie" incurable.

Ainsi Sartre repère que c'est surtout l'antisémite qui fait le Juif.
Qui l'enjuive plus que tout autre motif, parce qu'il est porteur dans chaque molécule de son corps de la marque du Malin, résumée par les mots suivants :

"L'antisémite a décidé du Mal pour n'avoir pas à décider du Bien. Plus je m'absorbe à combattre le Mal, moins je suis tenté de mettre le Bien en question".

C'est donc lui qui lui grave au fer rouge, avec une obstination hystérique, son étoile jaune sur le front, comme cible à abattre. C'est lui qui crée ex-nihilo "la race" juive.
Aussi, sur presque 200 pages, l'antisémite se fait littéralement charcuter sur la table d'opération Sartrienne. Tout y passe : Psychologie individuelle, psychologie sociale, rien ne lui épargné (car il va de soi que l'antisémite a un sérieux problème psychologique). Et sans pour autant se montrer virulent, on devine sans mal tout le mépris, tout le dégoût que l'antisémite, cet être veule et médiocre, inspire au philosophe.

Des juifs eux-mêmes, de leur identité, Sartre n'en parle qu'assez peu. Il aborde, sans trop s'attarder, le système de pensée juive, et notamment son rapport à l'argent, dans une analyse d'une profondeur et d'une finesse remarquable. Mais en dehors de ça, Sartre considère les juifs comme une entité extrêmement hétérogène qui, à défaut d'avoir une communauté d'intérêts ou de croyances, a comme "seul lien qui les unisse, le mépris hostile où les tiennent les sociétés qui les entoure".

Ce livre date de 1954 et, dans une langue agréable qui n'a pas vieilli un iota, Sartre ne pouvait prédire le conflit israelo-palestinien qui aurait enrichi son analyse. Il hésiterait à écrire par exemple que les Juifs sont "passionnément ennemis de la violence".
Et cette violence politique de l'oppresseur sur le faible, est bien sûr un formidable accélérateur d'antisémitisme, permettant aux judéophobes de s'écrier enfin : "Vous voyez qu'ils sont mauvais, que leur sang est sale, qu'on avait raison de ne pas les aimer !"
Cependant, concernant cette violence, Sartre rapporte déjà de cette époque que "Les Juifs vont revenir de l'exil avec une insolence et un appétit de vengeance tels que je redoute une recrudescence de l'antisémitisme". Le temps lui a donné raison.

Ainsi, par ricochet, le discours de Sartre est toujours d'actualité : ce sont d'abord nos ennemis qui nous soudent en tant que peuple, ou ethnie. Les antisémites ont consolidé les peuple juif, comme celui-ci consolide aujourd'hui le peuple palestinien, par les vases communicants de la médisance et de la haine gratuite.
Un livre indispensable pour qui veut comprendre les ressorts profonds du racisme en général, et de la haine du juif en particulier...
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le 26 oct. 2012

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Franck Walden

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