"Pour tous les pères"

Étrange et inexplicable dédicace. Repentir tardif, pardon irrationnel ou ultime pied-de-nez cynique à un paternel haï. C'est en ces termes déroutants que Bukowski, plus sobre que jamais, introduit ce qui sera sa plus belle confession.

De romance il n'est plus question.

Nul faux-semblant, nul artifice, nulle échappatoire.
Buk fait place nette et se livre à nu. Sale, perdu, inadapté, différent mais incroyablement HUMAIN.
C'est une naissance. Celle d'un intégriste de l'Humanité, trop grand pour son pays, son époque. De l'enfant naïf à l'adulte déboussolé, c'est le parcours chaotique d'un condamné à l'exclusion, éternel paumé, terrifiant de lucidité dont le seul crime sera d'avoir trop tôt compris.

Le tableau est pénible, l'espoir semble n'avoir jamais voix au chapitre. Pourtant, contre vents et marées, contre un monde qui ne lui correspondra jamais, le marginal avance. Lentement, à sa manière et sans prétention, avec pour seule ambition d'exister sans disparaître dans l'océan de conformisme qui l'entoure, armé de ses seules convictions – forgées dans la souffrance et les rancœurs – il se débat pour ÊTRE.

Bien plus qu'une misérable exposition de la misère humaine, ces souvenirs sont une tribune, un échange, un manifeste délicat. Sous le regard terriblement lucide du vieux Buk, l'enfant et l'adolescent furieux sont décortiqués, sans pitié mais avec une douce amertume.
Et rendent la pareille.
Bukowski ne s'épargne pas et juge, au travers de son propre vécu, l'adulte qu'il est devenu.
Tout le génie littéraire de l'homme est là, dans cette capacité unique à mêler l'autobiographie à la réflexion, à juger ses contemporains en se jugeant soi-même, à savoir disparaître de sa propre histoire le temps d'une généralisation profondément humaniste, à pousser un cri d'espoir quand même le lecteur n'y croit plus, à faire rire quand rien ne s'y prête, à faire pleurer avec des mots.

Bukowski, alcoolique violent et raté notoire, fut l'un des plus grands auteurs de ce siècle et, surtout, l'un des derniers êtres humains dignes de ce nom.
-IgoR-
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le 10 juil. 2014

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