Sur la route
7.2
Sur la route

livre de Jack Kerouac (1957)

Un nuage de poussière.


C'est tout ce qu'ils laissent à voir, ce qu'ils ont soulevé derrière eux alors qu'encore une fois, ils reprennent la route en écrasant l'accélérateur d'une vieille voiture dérobée au coin d'une rue. Les voilà à nouveau partis se fondre sur le bitume étroit qui serpente dans le désert, écrasés par la chaleur et la solitude. Sal et Dean, potes en excursion, frères de virée, compagnons de route, incapables de tenir en place.


Dans la fureur d'un cabriolet qui avale les miles en rasant le goudron, ils s'enflamment, brûlent de vivre, de voir, de bouger dans tout le continent en suivant l'asphalte fumante. D'Est en Ouest, d'Ouest en Est, ils perdent leur vie, leur argent à errer de ville en ville, sans but autre que retrouver des potes, des filles, des fantasmes.
Ils ont vu Denver, San Francisco, Dallas, le Texas, le Dakota... Ils ont vu la poussière se soulever sur leur passage pendant des heures dans tous les Etats séparant les deux océans.


Dans toutes ces villes, ils ont exécuté leur désir de vivre. Ils ont coulé dans l'alcool, la drogue, dans des nuits qui n'en finissent plus à explorer les recoins de leurs pensées et les corps de toutes les jeunes filles qu'ils croisent. Ils se sont jetés corps et âme dans une vie sans lendemain, envahie d'amour et de déchirements.
Rien n'est assez fort pour les retenir, les attacher à un bout de désert, toujours ils s'enfuient vers l'inconnu dans un vacarme assourdissant, colligent péniblement quelques dollars pour payer un peu d'essence et de nourriture pour atteindre la prochaine ville.


La route s'efface sous les pneus de leur voiture, sous un habitacle merdique où ils accueillent tous les pouilleux de la terre pourvu qu'ils puissent participer à leur pécule misérable. Dans leur bolide ou à chaque arrêt, ils s'enfoncent dans les bas-fonds des Etats-Unis et se mêlent à toute la populace du pays. Dans des cars qui traversent le pays ou dans des bars qui trahissent les pervers, c'est l'Amérique qui pénètre leur vie.


Ils se saoulent de bière et de jazz dans des bars nègres, attendant la transe née du souffle d'un saxophoniste ou des doigts d'un pianiste. Le It. Instant d'hypnose, d'extase, qui transcende le jazz de moments de pureté, directement dans l'âme de l'auditeur.
Sal et Dean le cherchent dans tout le pays, chaque ville leur offre son meilleur, sa face nocturne qui ne se révèle qu'à ceux qui la cherchent. Même au Mexique, il faut s'enfoncer loin pour trouver la folie orgiaque qui rythme leurs vies.


Dans toute cette poussière, ces deux paumés amoureux de la vie font transparaître un océan de tendresse. Pour eux, pour leurs compagnons de voyage, visages transitoires sur le bord de la route, il ne reste alors plus qu'à gratter la saleté qui imprègne leurs vêtements. Et sous toute cette folie, cette fureur et ces nuits sans fin, on verra affleurer tout le malheur de ces types laissés en marge de la piste, et de la société.
Sous toute la joie, sous le jazz, on verra naître un son plus amer qui résonne dans tout le pays.
Un Big Country Blues.

Black_Key
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le 23 oct. 2016

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