Faire un résumé de ce livre est un travail ardu, ce qui permet de soulever le premier défaut du roman : il est confus. L’auteur profite de son aisance à l’écrit pour sauter d’un personnage à l’autre, mais les trop nombreux points de vue ont tendance à délayer l’action plus que de raison. Mais peut-on vraiment parler d’action ? Si une curiosité mal placée pour les petites existences de vos voisins ne vous retient pas, vous ne trouverez tout simplement pas de raison pour continuer à tourner les pages. Avec un plaisir certain, Rowling s’attarde sur des scènes du quotidien, des disputes entre parents et adolescents, maris et femmes, amants et amantes… ça n’en finit jamais. La mort brûlante qui ouvre l’histoire ne semble qu’un prétexte, la promesse d’un scénario sans cesse repoussé à plus tard.
La moitié du livre passe. Toujours rien. Les adolescents s’imposent comme des héros redresseurs de torts dont la mission est de dénoncer les vices d’adultes qui ne comprennent rien à rien, les parents sont dépassés, et la mère droguée de l’histoire, fière représentante de la clinique à fermer, est toujours autant droguée. De l’annonce d’un roman de mœurs anglais acéré (comme les britanniques savent si bien les faire) nous passons à la sitcom de 20h. Des épisodes cours, des drames, peu de contenu, mais des personnages colorés à foison, des rires, des larmes, de l’émotion. Quand la quatrième de couverture laisse espérer une intrigue politique autrement plus fine, on ne peut que se sentir un peu arnaqué.

La progression m’a beaucoup rappelé Harry Potter 7. On lit sans trop savoir pourquoi parce que l’écriture passe toute seule, et il faut attendre les 200 dernières pages pour être happé par une succession d’événements plus invraisemblable les uns que les autres. Le truc finit donc par prendre. Un peu trop tard, comme si Rowling essayait de lâcher tout ce qu’elle avait en réalisant qu’il serait peut-être temps de donner une conclusion à tout cela, même si, à force de partir dans tous les sens, ce qui aurait dû être le fil conducteur s’est perdu depuis un moment dans un fouillis de mots et d’informations inutiles. Le résultat est baroque. Soudain, le lecteur passe dans le roman noir. Violence, mort, sexe, drogue, ça ne s’arrête plus. Mais du coup, l’effet est très bancal. Ça marche, parce qu’on est trop surpris pour réfléchir à ce qui se passe. L’exagération sauve l’histoire jusqu’à ce qu’on puisse enfin fermer le livre. On a de quoi manger pour quelques heures, ça vaut un fast-food.
Malgré tout, je reconnais à l’auteur le mérite de ne pas avoir sombré dans le bon sentiment que l’on pouvait craindre. La fin sera contrastée. Quoiqu’un peu vide, elle laisse apercevoir un bon potentiel de base. Pour en venir aux qualités, j’ai apprécié la variété des points de vue qui empêchent la réelle prise de parti et rompent avec le monde manichéen d’Harry Potter. Derrière ses maladresses, l’auteur témoigne d’une vraie finesse d’esprit. Sur l’épineuse question de la clinique, le point de vue n’est pas très clair. Le personnage de la droguée n’attire pas la moindre sympathie, il est visible que son cas est sans espoir. Son assistante, pleine de bonnes intentions, voit son côté militante de gauche très souvent ridiculisé, et le cynisme des « conservateurs » a quelque chose de désespérant. Pour autant, sous les questions politiques, hypocrisie de bon ton à part, il devient vite évident que, dans le fond, tout le monde sait qu’il se porterait mieux sans ces problèmes de camés. Alors oui, en versant dans la critique sociale, il y avait de quoi faire du bon. Rowling s’aventure sur un terrain qui dérange toujours beaucoup, mais ne va pas au bout de son sujet. Elle se perd dans des tourments d’adolescents mal dans leur peau et en conflit avec leurs parents. Les deux « histoires » s’associent mal puisque, visiblement plus proche des jeunes (une déformation de sa carrière d’écrivain jeunesse ?), l’auteur revient à un ton très Potterien, en se dressant clairement contre des adultes implacables qui ratent tous leur vie, et se vengent sur leurs enfants.
Malheureusement, la richesse du ton et de la langue en pâtissent. Le roman devient une sorte d’ovni, plus proche de la littérature jeune adulte que de la littérature adulte, même s’il essaye d’y prétendre. Très clairement, si vous n’avez jamais lu l’auteur et que ce n’est pas la nostalgie qui vous pousse à ouvrir Une place à prendre, ne vous y attardez pas au-delà après avoir dépassé la barre des vingt ans.

Les points positifs restent ceux qui avaient fait la force de la saga des sorciers, une écriture très vivante, des personnages marquants, une bonne touche d’humour anglais et une compréhension du genre humain assez fine, qui se permet des envolées plus osées et sombres pour le plus grand bonheur du lecteur contrarié par la plasticité infantile des personnages d’Harry Potter. Contrairement à ce qui a pu être dit, même s’il n’y a pas de magie, Rowling est dans la continuité. On sent qu’elle a besoin de se rattraper, d’écrire sur une adolescence dont elle a dû gommer toutes les dérives avec la contrainte d’écrire pour un jeune public. Alcool, sexe, drogue, mutilation, persécution, tous les thèmes sont là… et rendent le changement de registre encore assez timide.
Sans être incroyable, Une place à prendre est donc encourageant pour la suite de la carrière de l’auteur qui, espérons le, a appris de ses erreurs et gagné en maturité dans ses prochaines œuvres.
Barbelo
6
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le 8 déc. 2013

Critique lue 232 fois

Barbelo

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