Une comédie de mœurs menée de main de maître

Nous l’attendions tous, ce nouveau titre de JK Rowling destiné aux adultes, en général avec autant d’impatience que d’appréhension. On a murmuré que ce serait un thriller, et puis finalement non. Les critiques l’ont descendu en flèche, parfois avant même de l’avoir lu, simplement parce que JK Rowling a le « malheur » d’avoir écrit le plus gros best-seller depuis plusieurs décennies, celui que toute une jeunesse attendait. Bref, je n’étais pas tout à fait certaine d’apprécier ce nouveau roman, mais la curiosité l’a emporté.

La petite bourgade de Pagford, en pleine campagne anglaise, entre dans une soudaine agitation lorsque l’un des membres du conseil paroissial, Barry Fairbrother, décède brutalement. Sa place est à prendre, et elle a une importance cruciale, car la petite ville est divisée entre les partisans de la cité des Champs, souhaitant offrir à ses habitants des chances d’ascension sociale, et ceux qui veulent tout simplement se débarrasser de cette source d’ennuis en en confiant la gestion à la ville voisine, Yarvil. L’élection implique de près ou de loin une dizaine de familles, dont l’auteure brosse peu à peu le portrait, tandis qu’un corbeau un peu particulier commence à sévir dans le village. Qui sortira gagnant ? Dans cette mêlée d’ambitions et de frustrations, peut-il vraiment y avoir un vainqueur ?

Ce roman comporte un grand nombre de personnages, et le lecteur peut être un peu perdu au départ. La lecture du début du roman a ainsi été un peu lente pour moi, le temps de me familiariser avec les protagonistes. Mais on apprend vite à distinguer les clans et on apprend à connaître les personnages, jusque dans leurs petits travers et leurs secrets.

Il y a dans cette histoire plusieurs types de personnages, mais une règle : personne n’est tout blanc ou tout noir, pas de frontières entre les gentils et les méchants. Certains personnages sont tout de même très antipathiques, comme le colérique Simon Price ou le provocateur Stuart Wall. D’autres suscitent peu à peu la pitié, comme le proviseur adjoint Colin Wall et ses angoisses, ou la quadragénaire frustrée Samantha Mollisson. Mais les plus touchants dans cette histoire, ce sont leurs enfants, ces adolescents cabossés qui ont subi les ambitions et les frustrations, les réussites et les misères de leurs parents. Avec une préférence particulière pour la jeune Krystal Weedon, que je vous laisse découvrir.

Ainsi, ce roman, c’est l’histoire de tous ces personnages, l’espace de quelques semaines. Nous découvrons des brides de leur histoire, comment ils sont arrivés là où ils en sont aujourd’hui. Nous apprenons à connaître leur caractère. Ils ont tous leurs joies, leurs peines, leurs rêves déçus. Et on se surprend peu à peu à sourire de leurs défauts et à se réjouir des problèmes que rencontrent certains d’entre eux pendant la campagne électorale. C’est un humour féroce, grinçant, que déploie peu à peu JK Rowling et qui, dans mon cas, a fonctionné : j’ai fini par me régaler de les regarder vivre.

Ce roman est également un roman social, dans le sens où JK Rowling aborde certains problèmes de société tels que la ségrégation sociale et la drogue. Elle montre un vrai talent pour raconter la misère, celle de la cité des Champs et de ses habitants, dans ses aspects les plus sordides, sans verser dans le misérabilisme ou la complaisance. Elle aborde les problèmes d’argent des municipalités anglaises qui cherchent à faire des économies partout où elles le peuvent, sacrifiant notamment des institutions ayant un rôle social, par exemple une clinique de désintoxication. Elle évoque l’impuissance des assistantes sociales face à certaines situations. Ainsi, nous avons là un véritable roman social à l’anglaise, qui m’a par moments évoqué les œuvres de Jonathan Coe.

Pour en revenir à l’intrigue, elle est menée de main de maître. Le début est un peu lent, comme évoqué plus haut, mais avec le recul, cela m’a permis d’entrer véritablement dans l’ambiance, de faire connaissance avec les personnages, de les considérer comme mes voisins. Puis j’ai commencé à être à l’aise, à m’amuser, à sourire. Et puis PAF, en l’espace d’une nuit et d’une journée, tout vole en éclats, les trajectoires des différents personnages s’entrecroisent et les dernières dizaines de pages vous prennent à la gorge. L’épilogue, illuminé par le personnage de la jeune Sukhvinder, est très beau, et cette fin est à l’image du reste du roman : tout en nuances. S’il n’y a pas de happy end, l’espoir est permis.

En ce qui concerne l’écriture, ne soyez pas surpris, vous ne retrouverez pas le style de Harry Potter. La seule chose pouvant évoquer ses romans précédents, c’est l’importance des adolescents dans son récit, et la manière dont ils se comportent généralement bien mieux que leurs parents. L’humour est différent, plus noir, plus grinçant, mais il fait mouche. En voici un tout petit exemple : « Krystal était passé par l'école comme une chèvre passe par le gosier d'un boa : de manière aussi peu discrète que plaisante pour les deux parties concernées. »

C’est bien écrit, et agréable à lire, malgré l’emploi de termes un peu ardus de temps à autre. JK Rowling arrive à raconter des choses très dures voire crues, à parler de viol, de fantasmes, d’automutilations, sans jamais être vulgaire et sans en faire trop. Ses mots sonnent juste tout simplement, ils m’ont touchée et j’ai ressenti de vives émotions.

J’ai été assez longue déjà, je vais donc essayer de conclure brièvement ! Je suis entrée dans ce roman tout doucement, petit à petit, de plus en plus impliquée et de plus en plus séduite. Au final, j’ai pris une grosse claque, tout simplement. Si vous recherchez un livre qui vous rappelle Harry Potter, ou si vous n’aimez que les livres pleins d’action, passez votre chemin. Mais si vous aimez la littérature contemporaine, les romans de mœurs et l’humour grinçant, foncez, ce livre est pour vous ! JK Rowling prouve en tout cas qu’elle a tout à fait sa place dans la littérature contemporaine, et je me languis déjà de ses futures œuvres…
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le 12 juil. 2014

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