Il y a des jours comme ça, où on a envie de tout laisser derrière soi et de fuir dans les bois. De laisser derrière cette société qui n'a à offrir que travail, famille, patrie ainsi que la ville et ses rites sociaux chronophages. De partir construire une cabane et de retrouver sa véritable nature au contact de la nature.

Et bien Thoreau l'a fait, pendant deux ans, deux mois et deux jours à partir de mars 1845 au bord de l'étang Walden, à côté de Concord dans le Massachussets. Et de sa robinsonnade, il en a fait un livre atypique, tour à tour pamphlet, traité philosophique, économique et sociologique, ethnologique, méditation poétique sur la nature, un manuel pratique sur comment construire une cabane, planter des haricots ou construire une cheminée...

Thoreau aurait pu écrire un traité à la Rousseau, plein de théories fumeuses et de sentimentalisme dégoulinant de nostalgie sur le retour à une société édénique. Il n'en est rien. Walden ou la Vie dans les Bois est un livre protéiforme, qui change de style et de point de vue selon les chapitres. La solitude permet l'introspection et de revenir à l'essentiel.

Thoreau y révèle plusieurs pans de sa personnalité. D'abord, celui d'un vieux bougon célibataire, s'insurgeant contre les méfaits de la vie moderne, qui n'apporte que du luxe inutile, de coûteuses modes passagères, une pauvreté sans cesse grandissante, des moyens de communications vains car ils ne colportent que des nouvelles inutiles qui empêchent de saisir l'instant présent. Même s'il a tendance à s'emporter par moment, c'est souvent assez drôle à lire et puis il n'a pas complètement tort...
"Nous nous rencontrons aux repas trois fois par jour, pour nous donner réciproquement à regoûter de ce vieux fromage moisi que nous sommes. Nous avons dû consentir un certain nombre de règles, appelées étiquette et politesse, afin de rendre tolérable cette fréquente rencontre et n'avoir pas besoin d'en venir à la guerre ouverte".

Il révèle aussi son âme de scientifique, beaucoup plus naïve et émerveillée par les arbres qui l'entourent (à qui il rend visite comme à des vieux amis), par la formation de la glace, par le comportement des écureuils, des oiseaux, et des petites souris qui viennent lui chaparder les miettes de son repas.

Une âme de poète aussi, certains passages, comme les guerres entre les espèces de fourmis du voisinage deviennent des combats épiques dignes d'Homère. Il est atteint par moments par le lyrisme que lui insuffle la nature environnante :
"Le temps n'est que le ruisseau dans lequel je vais pêchant. J'y bois ; mais tout en buvant j'en vois le fond de sable et je découvre le peu de profondeur. Son faible courant passe, mais l'éternité demeure. Je voudrais boire plus profond ; pêcher dans le ciel, dont le fond est caillouté d'étoiles. Je ne sais pas compter jusqu'à un. Je ne sais pas la première lettre de l'alphabet. J'ai toujours regretté de n'être pas aussi sage que le jour où je suis né."

Et enfin son petit côté Robinson, inspiré par les grands espaces des Etats-Unis, prônant une philosophie du "squatter", libre de s'installer où il veut. Dans un mouvement très cartésien, il remet tous les fondements de ce qu'il a appris en cause, cherchant à retrouver grâce à sa seule expérience comment vivre (et non pas seulement survivre) le plus simplement et efficacement dans les bois et de la manière la plus économique. Ainsi, il calcule que le prix de revient de sa cabane est égale à 28 dollars et 12 cents (sachant qu'un dollar représente le salaire moyen journalier d'un homme). Il prône une alimentation végétarienne car chasser, dépouiller et cuisiner la viande prend trop de temps et trop d'énergie.

Cependant, contrairement à Robinson, tout seul sur son île jusqu'à l'arrivée de Vendredi, Thoreau fait l'expérience d'une solitude choisie, non exempte de rencontres de toutes sortes (entre les bûcherons, ses amis de passage, les pêcheurs du dimanche) et il se rend souvent au village pour mieux analyser pourquoi l'isolement qu'il a choisi accordent à ses courts instants de socialisation une force toute particulière. Leurs (relatives) raretés permet de revenir à l'essentiel.

Tout le livre n'est finalement qu'un plaidoyer pour tout un chacun de faire l'expérience au moins une fois dans sa vie de sa liberté absolue. De lutter contre l'amollissement qu'engendre la société pour mieux arriver à libérer sa pensée. Pour l'élargir à la contemplation de l'univers qui nous entoure. Pour arriver à voyager tout en étant immobile.

Il en faut vraiment très peu pour être heureux.

Socinien
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le 9 sept. 2011

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